«Cachez ce joint que je ne saurais voir»

Communiqués de presse

2016_«Cachez ce joint que je ne saurais voir»

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En matière de cannabis, les partis traditionnels ressemblent au célèbre Tartuffe de Molière. Ils savent que leurs méthodes n’ont aucune chance d’atteindre leur but, mais font semblant de l’ignorer.

Comment interpréter autrement leur attitude ? Au nom de la lutte contre les addictions au cannabis, tels Tartuffe, ils adoptent une posture répressive et morale qui manque totalement les objectifs assignés. En effet, envisager le cannabis sous l’angle répressif équivaut, au mieux, à cacher la poussière sous le tapis du droit pénal. Au pire, à volontairement privilégier la politique de l’autruche. Dans tous les cas, l’approche actuelle ne limite en rien la consommation du produit et n’offre aucune porte de sortie à ses consommateurs. Les statistiques le prouvent : la consommation et la vente de cannabis ne diminuent pas en Belgique. Par contre, ce sont chaque année des centaines de millions d’euros qui alimentent des réseaux criminels.

A l’opposé de cette approche, nous plaidons pour une approche socio-sanitaire du phénomène, basée sur le dialogue et l’accompagnement social et médical du consommateur. Car envisager le cannabis comme une question de santé publique permet de réellement agir aux racines et sur les multiples effets de sa consommation. Une telle approche nécessite toutefois un changement politique majeur. Elle nécessite de légaliser le cannabis.

Ce changement de perspective, différents états américains l’ont opéré ces quatre dernières années. Le Canada le réalisera au printemps 2017 et les élus italiens en débattent concrètement. Le moment nous semble venu pour les décideurs belges de s’emparer de la question. Si encore trop d’élus craignent la polémique, force est de constater qu’une légalisation permet d’aborder le phénomène sous l’angle de la santé publique. Ce qui apparaît bien plus efficace, pour les cinq raisons suivantes (au moins) :

1. L’usage du cannabis est en majorité un usage récréatif et non problématique. Ce n’est pas la raison la plus importante mais c’est celle à savoir avant toute chose : les usagers de cannabis ne sont pas forcément hippies/délinquants/en voie de perdition. Cette vision est caricaturale et sans fondement. La grande majorité des usagers de cannabis a un usage récréatif du produit, c’est-à-dire un usage occasionnel, sans problème de dépendance. L’image péjorative du cannabis découle essentiellement de son interdiction, qui l’a assimilé à des produits dangereux. Un joint, c’est comme un verre de vin ou une cigarette : c’est au nombre et à la fréquence qu’il faut prendre garde. L’important n’est donc pas tant d’interdire ce produit (dont l’OMS n’a d’ailleurs plus contrôlé les effets depuis les années 1960), mais d’ouvrir un dialogue sur sa consommation, ses effets et sur les moyens pour préserver la santé des consommateurs. Aujourd’hui, d’autres drogues sont légales (cigarettes, alcools, antidépresseurs…) et personne ne s’en émeut. Elles amènent des risques pour la santé publique, mais nous savons que la meilleure manière de combattre ces risques se fera non par la force, mais par l’information, la prévention, la réduction des risques et un travail sur les causes qui mènent à la consommation problématique de produits psychotropes.

2. La guerre contre les drogues est un échec coûteux. Ce n’est pas une phrase de Bob Marley, c’est le constat de l’Assemblée Générale des Nations Unies tenue cette année en avril à New York. La répression n’a pas enrayé le commerce de stupéfiants. Au contraire, celui-ci s’est développé, aussi bien à l’échelle mondiale qu’à celle de notre petit pays, et avec lui les violences au sein des milieux criminels, attirés par ce marché juteux. Ainsi, l’État déploie quantité d’hommes et de moyens (financiers) pour réprimer un phénomène qui paraît impossible à endiguer par la voie pénale. Dans notre contexte de menaces multiples, ces forces semblent plus utiles ailleurs, tandis que d’autres réponses à l’usage du cannabis semblent à la fois plus efficaces et moins coûteuses (prévention, encadrement de la consommation, traitements, etc.). Selon certaines estimations, la légalisation du cannabis pourrait augmenter les moyens de l’État de plus d’un milliard d’euros. Car une légalisation s’accompagne généralement d’une vente encadrée par l’État, dont les bénéfices (ou une partie d’entre eux) peuvent être réinvestis dans une politique de prévention et de traitement des assuétudes. Qui seront les derniers ennemis de la légalisation ? Probablement les gros trafiquants, qui perdront une manne d’argent facile.

3. Les pays qui ont légalisé le cannabis n’ont pas connu d’augmentation de la consommation. Contrairement à un préjugé de la population se ruant sur l’herbe, dans les pays ayant opté pour la tolérance au cannabis, comme les Pays-Bas ou l’Espagne, la proportion d’adultes ayant déjà consommé n’a pas été bouleversée par la dépénalisation ou la légalisation mais elle est restée stable. Au Colorado, qui a légalisé le cannabis en 2014, les jeunes ayant déjà consommé de la marijuana sont légèrement moins nombreux que dans le reste des États Unis. En France, où la détention et la consommation de cannabis sont considérées comme des infractions pénales, la prévalence de consommation chez les 15-64 ans est passée de 22,5 % en 2000 à 32,1 % en 2010.

4. La prohibition empêche le développement d’une véritable politique de santé. «  La stigmatisation et la discrimination envers les usagers de drogues tuent plus que les drogues elles-mêmes  » (Massimo Barra, vice-président de la fédération de la Croix-Rouge et du Croissant rouge). En effet, légaliser le cannabis n’est pas le signe d’un désintérêt politique pour les conséquences de sa consommation. Au contraire, c’est parce que, en 2014, plus d’un quart des jeunes belges déclarent avoir déjà consommé du cannabis et que près de 60 % des Belges assurent savoir se procurer du cannabis dans les 24h que nous affirmons qu’hommes et femmes politiques doivent s’emparer du sujet. Il ne s’agit nullement de vouloir augmenter ces chiffres en vendant du cannabis au supermarché ou en le distribuant comme une friandise. Une légalisation permettrait de renforcer la prévention et la réduction des risques, limitées actuellement par le tabou autour de la possession de ce produit et par la stigmatisation envers les consommateurs. Par ailleurs, cesser une politique hypocrite permettrait à l’État de contrôler les filières de production et de consommation. Une telle politique paye à plusieurs égards. La qualité du produit, en particulier la concentration en THC, est contrôlée, diminuant les problèmes sanitaires pour les consommateurs… et pour la sécurité sociale.

5. La prohibition engorge la justice. La Justice est l’une des grandes sacrifiées financièrement sur l’autel de l’austérité : surpeuplement des prisons, non-remplacement d’une partie du personnel, fusion des services… Selon le rapport 2014 de l’Institut de Santé Publique, plus de 70 % des infractions en matière de drogue concernaient le cannabis, et majoritairement sa possession. En légalisant ce produit, on soulage la justice et on lui permet de se concentrer sur des infractions plus graves pour notre société.

Il faut à présent passer aux actes. La légalisation revient à accepter la détention et l’usage du cannabis. C’est selon nous le changement législatif le plus cohérent à mettre en place. Le cannabis pourrait se vendre dans des officines contrôlées par l’État, à partir d’un certain âge, et les plants seraient autorisés chez les particuliers en quantité limitée, avec interdiction de revente. La consommation de cannabis serait soumise aux mêmes réglementations que celle d’alcool ou de cigarette : interdiction dans les lieux publics fermés, interdiction de troubles à l’ordre public… Les recettes de la vente seraient destinées en priorité à la prévention, à la réduction des risques et au traitement des addictions. Enfin, un tel changement politique doit impérativement, selon nous, s’accompagner d’une réflexion sur les raisons qui mènent à une consommation problématique, ainsi qu’aux causes de l’économie souterraine du deal. Cette politique des drogues doit s’inscrire dans une volonté de cohésion sociale et dans une lutte contre les inégalités sociales ayant un impact sur l’accès à l’information, à la santé et aux revenus.

Olivier Bierin, Laura Carlier, Michael Dereymaeker, Guillaume Le Mayeur, Esther Ingabire, Nicolas Raimondi, Caroline Saal, ancien·ne·s et actuel·le·s coprésident·e·s d’écolo j

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