Ces jeunes qui jouent le jeu de la « vieille politique »

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Ils sont jeunes, mais ce ne sont pas vraiment des perdreaux de l’année. À les entendre débattre, s’interrompre et s’envoyer des piques, les juniors ont déjà tout des grands.

Ces jeunes qui jouent le jeu de la «vieille politique»

Par Corentin Di Prima

Les jeunes s’engagent moins. Mais certains franchissent quand même le pas. Et rejoignent une section « jeunes » d’un parti. Nous avons réuni leurs représentants, pour un débat. Jeune, cause toujours ?

Ils sont jeunes, mais ce ne sont pas vraiment des perdreaux de l’année. À les entendre débattre, s’interrompre et s’envoyer des piques, les juniors ont déjà tout des grands. Deux d’entre eux sont échevins, l’une est chef de groupe au conseil communal. Car leur moyenne d’âge est plus proche de la trentaine que de la vingtaine. En Belgique, on peut être membre d’une section jeunes d’un parti jusqu’à 35 ans. On leur a donc posé la question : quel sang neuf peuvent bien apporter ces « vieux jeunes » (la plaisanterie vient de l’un d’eux) à la « vieille politique » ? « Pour faire évoluer un système, soit on reste au balcon et on dit qu’ils sont tous pourris, soit on entre dans le système, on s’engage et on fait changer les choses », résume Nicolas Deprets (Mouvement Jeunes socialistes).

Pour faire évoluer un système, soit on reste au balcon soit on s’engage et on fait changer les choses de l’intérieur

Tous ont attrapé le virus de la politique au tournant de la majorité. Seule Laura Goffart (écolo j) fait exception : « J’ai toujours été un peu politisée. Dans la cour de récré, en primaire, je ramassais les papiers des autres, parce que ça me rendait malade qu’ils les jettent par terre. Ado, j’ai rejoint des mouvements comme Oxfam, Amnesty… De là, j’ai vite ressenti du dégoût par rapport à la classe politique, à la démocratie représentative, que je voudrais plutôt participative. » Et donc elle est entrée dans un parti. Précisons que les sections jeunes des partis ne font pas formellement partie des partis. Il s’agit d’associations distinctes. Mais dans les faits, la parenté ne peut évidemment être niée.

« Sa place, il faut la prendre »

Se sentent-ils, en tant que représentants des jeunes, écoutés par le parti ? Perçoivent-ils leur influence, leur fait-on confiance ? Oui, tendent-ils à dire. Hormis chez Ecolo, où ce sont d’autres membres d’écolo j qui siègent dans les instances du parti (histoire de ne pas cumuler), les responsables des juniors font partie de toutes les structures du parti. « Sur certains sujets, on parvient à se faire entendre. Sur d’autres, non. Exemple, la légalisation du cannabis, où les jeunes MR n’ont pas su infléchir la ligne du parti. C’est dommage mais c’est comme ça. Mais sur la refédéralisation des compétences par exemple, on voit que ça commence à percoler. Des ministres fédéraux ont appuyé notre dernière sortie », avance Mathieu Bihet (Jeunes MR). « On veut la réduction collective du temps de travail. On a une réflexion idéologique, philosophique. Mais c’est vrai qu’on ne va pas jusqu’à chiffrer, prévoir la mise en œuvre. » Ce sont les « grands » qui s’en chargent.

Chez Défi, « les jeunes participent à l’élaboration du programme. On fait du travail de fond. Soit on propose, soit on nous consulte, explique Deborah Lorenzino (DéfiJeunes), qui insiste : Notre influence dépend de nous, de notre énergie à défendre nos idées. Sa place, il faut la prendre ». En tant que jeune, il faut peut-être davantage batailler, estime-t-elle.

Au PTB, les jeunes sont « complètement impliqués » dans la discussion sur la ligne du parti, affirme Max Vancauwenberge. « Et sur beaucoup de thèmes concernant les étudiants, c’est essentiellement Comac qui contribue à écrire le programme du PTB », affirme Max Vancauwenberge. Les Jeunes socialistes sont souvent qualifiés d’utopistes par le PS, reconnaît Nicolas Deprets.

Tout va bien dans le meilleur des mondes, alors, pour les jeunes en politique ? Autour de la table, chacun défend évidemment un peu son propre bilan, son action. « Pour le moment, c’est le grand jeu : on essaye de mettre des jeunes partout. La question, c’est : le lendemain des élections, qu’en fait-on ? Les jeunes ont-ils simplement été des porte-voix, ou leur a-t-on donné des responsabilités ? », interroge Christophe De Beukelaere.

Le centriste veut aussi faire passer un message « de responsabilité » aux jeunes : « C’est bien de rester au balcon et de dire que tout va mal. Mais venez, les instances sont là, et on nous donne la parole ! On peut influencer. Mais pour cela, il faut structurer, et il faut donner du temps aussi. »

« La politique n’est pas accessible ! »

« Faux », s’insurge Laura Goffart. Le monde politique n’est pas accessible à tout le monde. D’ailleurs, « regardez autour de la table. C ’est accessible à une partie de la jeunesse, celle qui a fait les bonnes écoles, qui est allée en haute école ou à l’université. Il y a un manque de représentation des personnes racisées, des femmes… On est mal informé, il y a du réseautage, l’institution belge est trop compliquée à comprendre. Alors non, ce n’est pas accessible à tous ! » Son collègue du Comac abonde dans son sens. « Aujourd’hui, le désintérêt n’est pas pour la politique. Ce qu’ils rejettent, c’est la manière dont elle est faite aujourd’hui, dans laquelle ils ne se retrouvent pas. »

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Déborah Lorenzino n’est pas d’accord : « Ce n’est pas en tendant toujours la becquée aux jeunes qu’on crée des gens acteurs de leur citoyenneté. J’entends beaucoup de jeunes qui disent : “La politique je n’en ai rien à foutre, tous pourris” quand il s’agit des grandes thématiques. Mais quand on va les toucher dans leurs préoccupations quotidiennes, ils s’impliquent, souvent sans s’en rendre compte. »

Tous le pressentent, le système politique actuel arrive en bout de course. « On est à la veille d’un grand chamboulement du système dans plusieurs domaines et notamment en politique. Je ne crois pas que l’organisation particratique va durer », résume Christophe de Beukelaer. « On est dans une démocratie représentative qui ressemble de plus en plus à une ploutocratie », s’insurge Laura Goffart. « Les jeunes ont moins envie d’être enfermés dans un carcan, ils veulent garder leur liberté », avance Max Vancauwenberge. « Ce que les jeunes veulent, c’est participer. On n’a plus voté depuis près de quatre ans et demi. Cela fait donc quatre ans et demi qu’on a des gouvernants qui agissent sans avoir pris le pouls de la population. Il y a une aspiration à changer le modèle et à avoir beaucoup plus de participation », constate Nicolas Deprets. Tirage au sort, assemblées ou budgets citoyens : sur les modalités de cette participation citoyenne, par contre, point d’unanimité. L’avenir de la politique n’est pas encore très clair.

En attendant, on vote le 14 octobre. Un scrutin marqué du sceau des jeunes. « Dans ma commune, Schaerbeek (135.000 habitants), 10.000 jeunes vont voter pour la première fois, précise Déborah Lorenzino. Tous les partis ont bien compris l’importance de cette donne. »

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