Retour sur | Cyber-militance : vers plus de démocratie grâce aux TIC ?

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Lors de cet atelier, nous avons eu le plaisir d’accueillir deux intervenants :

Pour lancer les débats, nous avons fait un tour de table sur la manière dont les participants à l’atelier utilisent internet et les réseaux sociaux dans leur militance. Force est de constater que c’est de la méfiance envers l’outil internet qui est ressortie de ce premier échange : Marc explique ainsi qu’il s’est retiré de Facebook pour qu’on n’utilise pas ses données personnelles. Il remplit très rarement des pétitions en ligne et exprime rarement ses opinions politiques sur le net, car il ne sait pas par qui ses opinions vont être récupérées. Grégoire a eu la même démarche, mais est revenu très vite vers Facebook car son absence du réseau social n°1 avait un impact sur sa vie sociale. Quant à Ali, il suit de près l’actualité concernant le TTIP et est assez impressionné par le fait que ce sont les citoyens à titre individuels qui se sont saisis de cette question sur le net, et que les organisations de la société civile ont été lentes à embrayer.

Mateusz Kukulka pointe un premier apport d’internet dans la démarche militante : l’accès aisé à l’information. Les réseaux sociaux facilitent le fait de faire de la veille sur la/les cause(s) que l’on veut défendre. Avant, il fallait être en contact avec la « communauté » qui défendait cette cause et être dans une démarche pro-active. Maintenant l’information parvient directement au militant. Trouver l’info est beaucoup plus simple, mais il y a un défrichage à faire face au flux continu d’infos qui arrive. Il en est de même pour le recrutement des partis politiques (ou des jeunesses politiques) : avant, il était nécessaire de pousser la porte de sa locale pour commencer à s’investir. Maintenant, quelques clics suffisent à trouver les informations nécessaires pour commencer son engagement militant. La porte d’entrée actuelle est prioritairement internet.

Pour Laurent D’Altoe, formateur au CEPAG, la cyber-militance est l’utilisation de moyens différents pour arriver aux même fins qu’une militance dite classique. Ce qui a fondamentalement changé, c’est qu’actuellement tout le monde est producteur et consommateur d’informations. C’est un avantage considérable : certaines réalités dans des pays en guerre n’arrivent plus que par les réseaux sociaux, comme en Syrie par ex. Mais cela peut mener parfois à une guerre d’infos contradictoires.

Par la suite, nous nous intéressons à une étude de cas : le mouvement « Pas question » contre le plan Wathelet sur le survol de Bruxelles, dont Mateusz Kukulka est un des instigateurs. A travers ce mouvement militant de grande ampleur, il nous explique la manière dont les nouvelles technologies ont permis une plus grande efficacité dans la mobilisation des bénévoles et dans la promotion de leurs revendications.

En lançant ce site internet, l’idée phare était de pouvoir stocker de l’information et rendre accessible à l’ensemble de la population les données de ce dossier. Dans une 2e partie du site, dans la rubrique « Agissons », un armada de moyens d’actions sont présentés (commander des affiches ou des bâches, envoyer un mail ou une lettre aux politiques, signer la pétition, relayer sur Facebook). L’ensemble de ces possibilités est présenté de la manière la plus simple possible : l’internaute est par définition fainéant selon Mateusz, il faut donc lui prémâcher le travail.

Un point important de la cyber-militance est la nécessité d’avoir une présence et un suivi permanent sur le net : il faut tout le temps répondre aux mêmes questions des militants, modérer et répondre aux débats qui se créent sur les réseaux sociaux. Un deuxième point important : miser sur les photos ! Il faut que les gens se sentent entraînés dans une vague de mobilisation et le fait que la « sauce prenne » doit être directement perceptible. Le visuel est donc le plus efficace de ce point de vue-là. Plus il y a de la présence sur le net, plus les actions de terrain ont de l’ampleur. Le fait de voir des gens qui réagissent en faveur de la cause que l’on défend nous conforte dans l’idée que nous ne sommes pas tout seul à penser comme ça et ça favorise notre mobilisation.

Que retenir de cette étude de cas ? Laurent D’Altoe met en exergue deux points essentiels. Premièrement, il faut identifier directement qui est derrière le mouvement, il faut une identité visuelle claire (ex : le jaune dans le cas de « Pas question »). Il existe plein de sites où ce n’est pas clair du tout. Deuxièmement, la cyber-militance en soi ne se suffit pas à elle-même : il faut des relais sur le terrain.

Le partage des actions sur les réseaux sociaux permet aussi d’accéder à des gens qui ne sont pas directement intéressés par la cause, mais qui peuvent rentrer dedans en voyant l’activité autour d’un sujet qui leur tient à cœur. Facebook serait donc la porte vers le grand public. Twitter par contre, doit être vu comme un réseau qui permet des messages davantage ciblés : il faut chercher à s’entourer de followers qui ont de l’influence (journalistes, leaders d’opinion, politiques) pour qu’ils relaient l’action militante. Interpeller directement un journaliste via Twitter serait par exemple beaucoup plus efficace qu’envoyer un communiqué de presse. C’est comme si on envoyait un sms : c’est d’une efficacité redoutable.

Laurent D’Altoe insiste quant à lui sur l’importance de lier sa militance sur le net avec des actions de terrain. Il prend l’exemple des Printemps Arabes qu’on a défini comme venant des réseaux sociaux. Ce n’est que partiellement vrai : c’est avant tout la situation économique et le niveau de démocratie de ces pays qui ont poussé les gens dans la rue. Facebook n’a été que le réceptacle de quelque chose de plus profond. L’engouement des réseaux sociaux doit être structuré par des causes profondes qui traversent la société. Il s’interroge aussi sur le public amené par le cyber-militantisme. Dans quelle mesure l’activisme sur le net a-t-il récupéré à la fois les déçus de la militance classique, un autre public et/ou des jeunes qui ne sont pas intéressés par la politique au sens classique du terme ? Laurent est partagé sur cette question.

Ensuite, il pointe quelques effets pervers du cyber-militantisme. Tout d’abord le militant du net est souvent multi-militant : il y a une sorte de brouillard sur les causes prioritaires qu’il défend car il s’exprime sur toute une série de sujets. Il y a beaucoup de militants plus volatiles, moins structurés et qu’il est difficile de fidéliser. La cyber-militance peut aussi amener des effets pervers car elle souffle sur l’émotionnel et entraîne avec elle une forme de poujadisme (ex : la pétition lancée contre la taxe au km à Bruxelles qui a fait beaucoup de mal à Ecolo, alors qu’il ne s’agissait que d’une expérience pilote). Mateusz va dans ce sens et précise qu’il faut bien souvent encadrer les militants dans le mouvement « Pas question ».

Laurent d’Altoe est également en train de faire une étude sur les forums des journaux en ligne. Il remarque que ce sont les mêmes noms qui reviennent tout le temps et que ceux-ci sont véritablement investis par des militants d’extrême droite (par ex. le mouvement Nation ici en Belgique, qui ne représente pourtant qu’une centaine de personnes). Pour Mateusz Kukulka, il faudrait presque mettre en place des cellules, organisées en mission de contre-militance, qui combattraient et répondraient à ces commentaires sur les forums et réseaux sociaux. Avec l’avènement d’internet, des discours qui étaient autrefois cantonnés à des discussion de café du commerce ont beaucoup plus de diffusion et ça donne l’impression d’être l’opinion majoritaire. Il faut y être attentif.

Enfin, les deux intervenants se rejoignent sur l’importance d’avoir une cohérence dans les discours tenus par les militants sur le net : rien n’est plus contre-productif que deux militants d’une organisation qui tiennent un discours différent. Il est donc nécessaire de définir et de communiquer certains points d’argumentaire importants à communiquer (des bullet points) et de donner des guidelines aux militants. Chaque activiste doit aussi être très clair au nom de qui il s’exprime sur les réseaux sociaux : à titre personnel ou au nom de l’organisation ? Attention, parfois le militant est tellement connoté à l’association à laquelle il appartient que s’exprimer à titre personnel ne sera plus possible (ex : Elio Di Rupo ne peut pas traiter Marine Le Pen sur les réseaux sociaux, même à titre personnel).

Merci à Laurent d’Altoe et Mateusz Kukulka pour leurs interventions avisées et pleines d’exemples pratiques sur cette thématique particulièrement intéressante pour écolo j !

Pour aller plus loin : « Internet et militance : je t’aime, moi non plus » de Laurent d’Altoe et Didier Brissa (CEPAG)

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