Retour sur | Demain – Interview de Cyril Dion

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Lors de son avant-première belge, projeté au cinéma Le Parc à Droixhe, écolo jest allée à la rencontre de Cyril Dion (co-réalisateur du film Demain).

écolo j Liège : Quel a été ton parcours avant de réaliser le film « Demain » ?

Cyril Dion : Moi, j’étais comédien au tout début. Après le lycée, j’ai fait des études d’art dramatique. Après, j’ai fait un peu de médecine naturelle. J’ai une formation en réflexologie plantaire. J’ai fait cela pendant un an, en entreprise, j’allais masser des salariés de Warner Music, qui étaient complétement déprimés car l’industrie du disque était en train de se casser la figure. En général, quand je commençais à les masser, au bout de cinq minutes, ils pleuraient ou ils avaient un fou rire mais ils avaient tellement besoin de décharger de la tension que c’était un peu dingue. Puis, par le hasard des rencontres, j’ai commencé à organiser des congrès israélo-palestiniens, avec une Fondation qui s’appelle « Hommes de Parole », qui est elle-même issue d’une ONG qui s’appelle « Equilibre », dans les années 80 en France, une ONG humanitaire. Donc, j’ai organisé un premier congrès en Suisse en 2003. A ce congrès israélo-palestinien, nous est venue l’idée de faire des congrès d’imams et de rabbins pour la paix, avec comme constat que les religieux n’avaient pas été suffisamment impliqués dans les accords d’Oslo et de Taba et que c’était, sans doute, une erreur. Donc, on a organisé le premier et le deuxième congrès mondial des imams et des rabbins pour la paix : à Bruxelles en 2005 et à Séville en 2006. Suite à cela, on a demandé de créer un mouvement autour de Pierre Rabhi, un écologiste assez connu en France. Fin 2006, j’ai commencé tout seul et j’ai crée cette ONG que j’ai dirigée pendant 7 ans, qui s’appelle « Colibris ».

éj – Lg : Etait-ce plutôt une ONG axée « Nord » ou plutôt avec des projets dans les pays du Sud ?

C. D. : En fait, il y a déjà une ONG qui a été initiée par Pierre Rabhi qui s’appelle « Terre et Humanisme », qui travaille plutôt au Sud, qui fait de la formation à l’agro-écologie. Et « Colibris », le but c’était plutôt de créer un mouvement en France et potentiellement, après, dans tous les pays qui le souhaitent, qui participent à réinventer la société dans toutes ses composantes.

éj – Lg : Donc, en fait, tu étais déjà un peu dans cette mouvance-là avant le film ? Était-ce aussi le cas pour Mélanie Laurent ?

C. D. : Mélanie, si, elle fait des trucs depuis un certain temps. Elle a fait des trucs avec « Greenpeace » depuis plusieurs années. Notamment, elle a fait une campagne sur la déforestation. Elle a travaillé avec une association qui s’appelle « Blume » et sur une campagne qui s’appelait « Fish Fight » pour le chalutage en eau profonde. Elle a fait des trucs avec la Fondation Daniel Mitterrand aussi sur l’accès à l’eau. Donc, si, elle était intéressée par ces sujets-là depuis un bon moment.

éj – Lg : Le film propose des solutions. Pensez-vous que le public sera plus réceptif aux solutions qu’aux dénonciations ?

C. D. : En fait, on est partis du constat que cela fait des années qu’on parle de tous ces problèmes-là mais que le mouvement n’est pas suffisamment important, qu’il n’y a pas suffisamment de gens qui s’investissent. Et que les gens qui sont sensibilisés et bien, eux, ils ont compris. Et que, à un moment donné, il faut arrêter de leur expliquer que c’est la catastrophe car cela, ils l’ont bien entendu. Ils ont plutôt envie de l’étape d’après : « qu’est-ce qu’on fait quoi ? ». Et moi, j’ai fait, dans le cadre de « Colibris », plein de campagnes et on m’a beaucoup sollicité pour faire des débats après les films. Donc, j’ai fait cela pour le film de Nicolas Hulot, « Le syndrome du Titanic » ; « We Feed the World » ; « Le cauchemar de Darwin ». Et, j’avais fait un film avec Coline Serreau « Solutions locales pour un désordre global ». Et là, on était beaucoup dans les deux, c’est-à-dire qu’il y avait beaucoup de constats et qu’il y avait un certain nombre de solutions. Et, je voyais que tout le temps après les projections, les gens disaient : « mais qu’est-ce qu’on peut faire ? ». « Bon, ok, c’est bon, on a compris, c’est horrible ! On est hyper révoltés mais maintenant qu’est-ce qu’on fait ? ». Parallèlement à cela, le côté catastrophe (et, il y a des études maintenant qui le montrent) que ça réveille un certain nombre de reflexes qui sont liés à la peur et à la panique et donc, quand on a peur et qu’on panique, la plupart du temps, le reflexe reptilien c’est de s’enfuir. On a un peu affiné le truc : on ne s’enfuit plus au sens propre du terme mais on fuit dans sa tête, on déclenche plutôt des mécanismes de protection, de déni, de résignation plutôt que d’innovation. Ca ne donne pas d’énergie aux gens. Et moi, ce qui m’intéressait c’est maintenant que l’on sait tout cela, et c’était hyper nécessaire de le savoir, qu’est-ce qui peut leur donner de l’énergie ? Et je voyais que montrer des choses qui marchent, raconter des histoires, faire envie, créer quelque chose de désirable, tout ceci est susceptible de stimuler la créativité, de stimuler l’empathie, de stimuler l’enthousiasme. Et c’est de tout cela dont on a besoin maintenant ! Car si on n’a vraiment que 20 ans pour réagir, comme certains films le disent, il va falloir qu’on ait une sacrée dose de créativité, d’enthousiasme, de solidarité pour y arriver.

éj – Lg : N’avez-vous pas peur que le film reste à nouveau au sein d’un groupe qui est déjà sensible à ces causes-là et que du coup, c’est vrai qu’il y aura peut-être une émulation d’énergie positive qui en ressortira mais ça restera toujours dans un cocon assez fermé de personnes ?

C. D. : Si, évidemment qu’on en a peur. Parce que ça serait vraiment dommage. Mais, à la fois, on a vraiment construit le film pour qu’il puisse parler à un public plus large. Là, ce que l’on voit en France pour l’instant est vachement encourageant. On est pour l’instant à 300.000 entrées, au bout de 5 semaines. Et ça ne baisse pas ! C’est-à-dire que chaque semaine, on fait le même nombre d’entrées. Moi ce que je vois, c’est que le réservoir d’entrées sur ce genre de films, pour ceux qui marchent, c’est autour de 250.000. C’est ce qu’on avait fait avec Coline Serreau ; Nicolas Huot, 260.000 ; We Feed the World, 230.000, peut-être. « Tous au Larzac », 190.000. Donc, là, 300.000, ça y est, on est en train de crever le plafond des initiés. Tel que cela est parti, on imagine qu’on pourrait même aller jusqu’à 500.000 qui est un score qui est vachement bien pour un documentaire qui est extrêmement long. Parallèlement à cela, l’enthousiasme qui a eu lieu autour du film a aussi suscité l’intérêt des médias « grand public ». Parce que c’est cela qui est chouette avec un film, les gens en entendent aussi parler par les médias et des gens qui n’iront pas voir le film mais qui ont quand même entendu qu’il existe et qui auront entendu un certain nombre de messages. Et là c’est vrai qu’en France, on a fait 3 des émissions télé les plus regardées : Michel Drucker, Le Petit Journal et On n’est pas couché. Et, c’est vachement bien parce qu’on était vraiment là pour le coup pour des émissions hyper grand public qui parlent à des gens qui ne s’intéressent pas du tout à ces sujets-là. Donc, c’est très encourageant. En plus, on a eu la très grande chance que le film ait été préacheté par France 2 ; donc il sera diffusé sur France 2 à une heure de grande écoute 24 mois après la sortie du film. Donc, là, on touchera encore un public plus large.

éj – Lg : Il est écrit dans le synopsis que vous avez voyagé dans 10 pays, pourquoi avoir choisi ces projets-là plutôt que d’autres ?

C. D. : On voulait que ça soit des projets qui soient suffisamment aboutis et suffisamment grande échelle que pour que ça puisse convaincre des gens qui sont très sceptiques. Donc, Copenhague, San Francisco, l’Islande en tant que pays. On voulait qu’il y ait des exemples un peu de toutes natures c’est-à-dire de choses que font des citoyens lambda, comme les « Incroyables Comestibles » ou la permaculture. On voulait des choses qui soient faites par des entreprises. On voulait des choses qui soient faites par des politiques, des élus. On voulait que ça soit des exemples plutôt occidentaux pour montrer que l’Occident qui a exporté un modèle un peu partout dans le monde et qui a beaucoup raconté une histoire à travers le cinéma, la littérature, etc. pour dire que ce modèle était un peu l’alpha et l’oméga et donc, montrer un peu partout dans le monde que l’Occident est déjà en train de faire autrement et que ce n’est plus la peine d’essayer de vivre comme nous car nous on a compris qu’il fallait arrêter. Et puis, après, on a cherché des personnages ; des gens qui soient assez charismatiques et qui donnent envie. Pour cela, on a fait une sorte de croisement entre tous ces critères qui nous ont amené à choisir ce qu’on a choisi.

éj – Lg : Quel est le projet qui vous a le plus touché ?

C.D. : Je ne sais pas. Tous m’ont touché parce que sinon on ne les aurait pas choisis.

éj – Lg : ou peut-être plus une personne ?

C. D. : J’ai adoré l’école. Mais Rob Hopkins, je pense que c’est mon personnage préféré dans le film. J’adore parce qu’il est hyper drôle et que c’est un concentré d’intelligence, d’humanité et d’humour. Et que moi j’adore les gens qui ont de l’humour. Quand on a de l’humour, ça veut dire qu’on a de la distance avec les choses. Il est à la fois hyper engagé et en même temps hyper doux. C’est une personne formidable, c’est un être humain génial. J’ai adoré l’école en Finlande. Parce que j’aurais adoré être dans une école comme cela et j’aimerais tellement que mes enfants puissent être dans une école comme celle-là. Et j’ai adoré le proviseur. Parce que pareil ! Il est hyper drôle et c’est un mec génial, ça se voit ! C’est-à-dire que quand on voit les élèves qui lui sautent dans les bras dans la rue… ce n’est pas pour rien quoi ! C’est vraiment parce que c’est une personne extraordinaire et qui a su créer un climat de confiance dans son école et créer quelque chose de génial.

éj – Lg : Avez-vous un regret par rapport au projet global ? Tout ce qui concerne le film : des choses que vous auriez souhaité faire et qui n’ont pas pu se faire ?

C. D. : Bah les regrets c’est toujours toutes les choses qu’on n’a pas montées dans le film et qui sont top. Donc, ça fait toujours un peu mal au cœur. Mais bon, on les mettra dans le DVD surement. Je pense que j’aurais aimé aller dans plein d’autres endroits. Mais ce n’était pas possible. Et je me dis que si on avait réussi à couper 15 minutes de plus dans le film, ça aurait été encore plus grand public. Mais, à la fois, on ne voyait absolument pas comment. Le but c’était d’articuler ces 5 domaines et de montrer que tout est lié et qu’il y a vraiment une construction intellectuelle qui se fait. Pour ainsi comprendre que chaque chose en amène une autre et que tout cela donne de la crédibilité au film et que tout se tient. Je ne suis pas sûr que l’on aurait réussi à enlever des choses et en même temps, je me dis que peut-être si. Mais, je pense que c’est une question à laquelle je n’aurai jamais de réponse. A la fois, c’est un désir contradictoire car j’aurais eu envie de faire un film de 3h et à la fois, j’aurais adoré réussir à faire un film d’1h40 pour que ça soit encore plus accessible mais je ne sais pas comment j’aurais pu faire.

éj – Lg : Un dernier mot pour la fin, peut-être ?

C. D. : Si cela s’adresse à des jeunes et des étudiants, le truc le plus important à faire d’une certaine façon, c’est trouver la chose qui vous passionne le plus dans la vie. Parce que d’une certaine façon et le film parle de cela : de permaculture, d’écosystème. Dans un écosystème pour que ça fonctionne harmonieusement, il faut que chaque chose ait sa juste place. Aujourd’hui, je pense que l’on est dans une société où l’on subit beaucoup : on va travailler parce qu’on a l’impression qu’il le faut ; parce qu’on doit trouver un emploi pour gagner sa vie et qu’en gros, il faut faire des bonnes études pour trouver un bon boulot et qu’il y a plein de gens qui font un boulot qu’ils aiment bien mais, en même temps, qui n’a pas vraiment de sens pour eux. Je pense que c’est cela qu’il faut arrêter. En fait, cette société elle est malade parce que, pour moi en tout cas, on est des bons petits soldats qui, depuis l’école, avons appris à obéir et à se conformer à un système et à un modèle. Aujourd’hui, pour construire un autre monde, on a besoin de construire des gens libres et c’est ça pour moi dans le film, ce sont des gens libres qui ont décidé de reprendre leur liberté. Des gens libres, ce sont des gens qui choisissent ce qu’ils font et qu’ils ne le subissent pas. D’une certaine façon pour moi l’objectif c’est que chacun trouve ce pourquoi il a du talent ; ce qui le passionne ; ce qui lui donne envie de se lever chaque matin ; et qu’il le fasse. Que ça, ça soit le noyau de la transformation de la société. Evidemment que cette activité-là participe à construire un monde dans lequel on aurait envie de vivre. Moi, c’est ça qui me fait lever chaque matin. J’ai envie de faire un truc qui m’éclate, que j’adore et qui en même temps construit un monde dans lequel j’ai envie de vivre et que mes enfants grandissent. Si chacun fait cela et bien, c’est génial. C’est ça qui donne du sens à notre vie. C’est ça qui nous donne de l’enthousiasme. L’enthousiasme c’est quand on fait quelque chose qui nous donne encore plus d’énergie que ça nous fatigue.

Laurence Collard
écolo j Liège

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