Le coronavirus ne confine pas les rapports de domination

Sitôt mises en place – en réponse à la pandémie – les mesures de confinement prises par le gouvernement belge ont affecté la population de manière très disparate. Si elles perdurent, elles pourraient bien pousser des milliers de personnes supplémentaires dans la pauvreté.

Commençons par l’évidence

Celleux qui n’ont pas de maison ne peuvent pas se confiner à l’abri du virus. Les personnes sans domicile fixe restent dans la rue, dans les mêmes conditions sanitaires inhumaines qu’elles connaissent habituellement mais avec, en plus, un risque accru d’exposition à une maladie très contagieuse et mortelle. Les sans-abri sont des personnes à risque dû au manque de lieux d’hébergement, de nourriture, accentué par la situation actuelle où les distributions de nourriture sont interrompues et à des problèmes de santé préexistants.

Ceci vaut aussi pour les migrant·es et les candidat·es réfugié·es sans logement qui font face à la fermeture des services d’asile et migration et se retrouvent donc à la rue.

Tandis que l’Office des Étrangers n’enregistre plus les demandes d’asile en dépit du droit international, Fedasil ne désigne plus de lieux d’accueil.1 Difficile de faire valoir ses droits fondamentaux et de respecter les recommandations sanitaires dès lors que certains dispositifs d’aide et d’accueil ne peuvent plus remplir leurs fonctions.2 Ou pire encore : lorsque les mesures répressives contre les personnes sans-papiers se poursuivent, comme les contrôles et les arrestations.3

Les conditions de vie des personnes détenues en centre fermé, comme celles détenues en prison4, sont comme toujours lamentables. Elles impliquent désormais de grands risques de contamination (surpopulation, dortoirs et salles communes, etc.). De plus, il est aberrant et illégal5 de poursuivre la détention puisque personne ne peut plus légalement être expulsé du territoire.

Malheureusement les initiatives menées par les Communes pour répondre à ces problèmes ne suffisent pas et reflètent la faillite du gouvernement fédéral par son orientation antisociale et sa politique migratoire inhumaine.

Pas de confinement pour les précaires

Le confinement qui vise à protéger le droit à la vie et à la santé n’est en réalité fait qu’en demi-mesure. Dans un monde capitaliste, l’économie doit continuer de tourner coûte que coûte. C’est pourquoi certaines entreprises sont autorisées à maintenir leur production et leurs services non-essentiels à la population. Elles obligent donc leurs employé·es à travailler. Ceci contrevient évidemment à l’endiguement nécessaire de la propagation du virus recommandé par les scientifiques. Ici, les intérêts économiques priment sur la santé. En outre, ces travailleur·euses n’ont pas toujours un équipement adéquat – à commencer par tout le personnel soignant – pour limiter leur exposition aux infections.6

Le personnel d’entretien, les caissiers·ères, les coursiers·ères : tous ces métiers dont on avait oublié qu’ils étaient indispensables à la vie du plus grand nombre ne verront pourtant pas leurs salaires revalorisés, ni maintenant, ni après la crise.

D’un autre côté, de nombreux·ses travailleur·es sont mis·es en chômage économique, entraînant une perte importante de salaire et de revenus pour leur foyer. Certains secteurs ne prévoient pas de compensation, surtout pour celleux qui sont indépendant·es (ou forcé·es de l’être comme les coursiers·ères à vélo) ou à temps partiel. Ainsi, beaucoup de personnes angoissent à l’idée de devoir bientôt payer les dépenses obligatoires comme les factures, le remboursement des crédits, le loyer, etc.

Non, le confinement ce n’est pas des vacances

La question du logement est tout aussi fondamentale. Il est demandé aux étudiant·es de travailler de chez elleux mais également de participer à des cours en ligne. Ceci nécessite par exemple d’avoir un environnement de travail calme, du matériel informatique en bon état et à usage personnel. Ces prescriptions renforcent donc les inégalités pédagogiques, socio-économiques et culturelles entre les étudiants·es.7

7 Fédération des Etudiants Francophones, 23 mars 2020, “Covid-19 : toujours aucune mesure généralisée ni de garantie pour protéger les étudiants selon la FEF” et Union Syndicale Etudiante, 13 mars 2020, “Mesures prises par l’ULB face au COVID-19 : impossible de remplacer les cours par des cours en ligne, il faut enlever de la matière !”

Les profs quant à elleux restent des éternel·les disposables aux yeux du pouvoir en place. Ainsi, il est envisagé de prolonger l’année scolaire en été alors même que les enseignant·es ne sont payé‧es que dix mois par an. Pourtant, les enseignant·es travaillent déjà actuellement et se donnent du mal pour créer des supports de cours virtuels inédits. Cette situation est un exemple de l’hypocrisie du système dominant : on valorise soi-disant la valeur travail tout en maltraitant et méprisant celleux qui sont les plus utiles à la reproduction de la société.

Plus généralement, on observe que certaines classes sociales ont plus de facilité à s’adapter à de nouvelles conditions de vie quotidiennes telles que le travail à la maison et la distanciation sociale. Leurs revenus sont assurés et iels peuvent y voir une opportunité de profiter de leurs loisirs, de se cultiver et de se reposer grâce à la flexibilité permise par la nature de leur travail. Les autres doivent vivre le confinement en restant enfermé·es dans un logement minuscule et insalubre, dans une solitude absolue ou pire, dans une promiscuité dangereuse avec un mari violent.

Cette romantisation du confinement par les couches aisées de la population rajoute une dose de violence symbolique : rester chez soi faute de moyens, c’est le quotidien qui va de pair avec la pauvreté. Confinement ou pas.

Le confinement accentue les dominations classistes, sexistes, validistes et racistes

Les femmes sont à ce titre en première ligne face au coronavirus : elles subissent davantage les violences conjugales, sont surreprésentées parmi les emplois les plus précarisés et écopent de la majorité des tâches ménagères dont la répartition inégale s’aggrave lorsque les enfants restent à la maison. Ce sont également sur leurs épaules que retombe le travail du « care » : d’abord en tant qu’infirmières et autres métiers du soin très sollicités, et puis en assumant la charge mentale émotionnelle (prendre soin de ses proches, rassurer, etc.).8

Trop souvent négligé·es, les travailleur·es du sexe sont plongé·es dans une misère sociale suite à la fermeture des différents établissements. Bien que toléré·es par les autorités, iels sont exclu·es par la législation des mécanismes de protection sociale et donc des dispositifs d’aide à la perte de revenus.9 Cela les expose aux abus potentiels des clients profitant de la situation. Surtout que les TDS sont souvent à l’intersection de plusieurs systèmes discriminants (sans-papiers, minorités de genre, etc).

Enfin, il y a celleux pour qui le confinement affecte le bien-être psychologique et social plus que les autres. Or, la santé mentale n’est actuellement pas la priorité du gouvernement au regard de la saturation des hôpitaux. Les soins de santé dont ont besoin les personnes fragiles psychologiquement (atteintes ou sujettes à la dépression, aux pensées suicidaires, aux troubles du comportement, etc.) et les malades chroniques sont aujourd’hui suspendus.

Le gouvernement fait passer l’économie avant le bien-être et la sécurité de la population

En conclusion, les mesures de confinement visent évidemment à protéger la population en Belgique, mais force est de constater un manque déconcertant de prise en compte des droits et besoins des plus vulnérables et précarisé·es. Il faut d’urgence considérer cette partie de la population qui est oubliée, toujours négligée et dont les droits sont une fois de plus bafoués.

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  1. Office des Étrangers, “Covid-19 : incidences sur les procédures administratives”
  2. Sibylle Gioe, 19 Mars 2020, “Coronavirus et personnes vulnérables – étrangers, détenus et sans-abris”
  3. Le Portugal a décidé de traiter les immigrés·es en cours de régularisation comme des résidents·es afin d’assurer leurs droits à la santé et au service public. Reuters, 28 mars 2020, “Coronavirus: Le Portugal va traiter les immigrés en cours de régularisation comme des résidents”
  4. Carte blanche GENEPI, 25 mars 2020, “Prisons et santé : incompatibles”
  5. Carte blanche, 18 mars 2020, “Coronavirus : la détention des personnes migrantes en centré fermé est devenue illégale”
  6. Cerveaux Non disponibles, Foodtech, 18 mars 2020, « On est en guerre ou on bouffe des burgers ? »
  7. Fédération des Étudiants Francophones, 23 mars 2020, “Covid-19 : toujours aucune mesure généralisée ni de garantie pour protéger les étudiants selon la FEF” et Union Syndicale Etudiante, 13 mars 2020, “Mesures prises par l’ULB face au COVID-19 : impossible de remplacer les cours par des cours en ligne, il faut enlever de la matière !”
  8. Selflove Gang, 19 Mars 2020, “Confinement, ce miroir amplificateur des inégalités de genre”
  9. Communiqué de presse Utopsi, 17 mars 2020, “Coronavirus : utopsi demande un soutien urgent pour les travailleur(r)ses du sexe en difficulté”

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GT Lutte contre la pauvreté