Smart Cities, ce leurre néo-libéral

Smart cities, quid ? Depuis quelques années, le concept de Smart Cities prend de plus en plus de place dans les discours politiques et urbanistiques. L’objectif, clair et assumé, consiste à transformer la ville afin de l’optimiser et d’améliorer les services grâce à la technologie.

Cette dernière est vue comme la solution idéale aux flux – financiers, de personnes, de données… – qui ralentiraient la ville et détérioreraient les services.

Dans une ville smart, chaque détail des comportements des populations est analysé pour ensuite les perfectionner et les corriger. Concrètement, cela se traduit par l’installation de poubelles intelligentes, de capteurs de flux de cyclistes/automobiles, de caméras de vidéo-surveillance (ou vidéo-protection pour utiliser le langage Smart), etc.

Le concept de Smart Cities a été développé et encouragé par des entreprises privées du numérique (IBM, Cisco…) ne cherchant pas à améliorer la qualité de vie des habitant·es, mais à déployer de nouveaux marchés dans lesquels ils ont vu l’opportunité d’un profit important en équipant numériquement des villes. Cette démarche n’a pas que pour seul principe d’optimiser les villes, mais favorise également la mise en concurrence des territoires. Autrement dit, plus un territoire est équipé et attractif, plus il sera visité et valorisé. La mise en concurrence des territoires s’inclut totalement dans la logique de production spatiale capitaliste au détriment des classes populaires (ségrégation spatiale, gentrification et répression) et de l’environnement (cf. Harvey, Van Criekigen).

La technologie nous sauvera ? Pas si vite…

La pierre angulaire des projets de Smart Cities repose sur la récolte permanente de données. Celle-ci pose question, bien que d’expérience dans les projets de Smart Cities, seulement une petite partie de ces données est traitée (15% pour reprendre l’exemple de la ville de Rio) faute de moyens et de compétences. La collecte de ces flux d’informations, pas toujours détenus par des entités publiques, ne permet pas un contrôle démocratique suffisant et entrave le respect de la vie privée. Vivre dans une société du contrôle permanent ne peut être un projet réjouissant et vecteur d’émancipation. L’ombre d’une situation de non-retour grave plane sur nos villes. En effet, le placement de certains capteurs, de démocratie participative exclusivement en ligne, de caméras de surveillance est un pas en direction d’une société type Black Mirror ou chaque fait et chaque geste est analysé, jusqu’à être éventuellement réprimé.

La Smart Citiy a tendance à déplacer, voire créer des problèmes. Par exemple, pour faire face aux embouteillages, IBM propose des capteurs afin d’optimiser les temps de trajet et d’afficher les places de parking disponibles. A contrario, ce diagnostic très partiel ne propose pas de solution structurelle à la congestion. Il s’agit donc d’un détournement du problème qui va en créer d’autres (écologique, contrôle, etc).

Fréquemment, l’un des principaux arguments mis en avant avec ce concept (et il s’applique également à celui des villes « durables ») est qu’on résoudra l’enjeu environnemental à coup de technologies salvatrices. Les partisan‧es de ce discours omettent d’exposer les coûts environnementaux déplacés (production en masse de capteurs et autres) ou alors la consommation énergivore de ces appareils. De plus, ceux-ci fonctionnent avec des systèmes WIFI mais surtout grâce à la 5G (et 6G prochainement) alors qu’on connaît les effets néfastes de ces technologies.

Aujourd’hui, malgré une multitude de projets en sa faveur, la Smart Citiy ne fonctionne pas: très peu de secteurs des villes et administrations ont réussi à se muer en version Smart et seule une installation accrue de caméras a été réalisée, ne rendant pas la ville plus intelligente ou sécurisée.

La Smart Citiy nous rappelle plus que jamais d’analyser et penser la ville sous le prisme de qui « la fait », pour qui elle « est faite », qui y gagne et qui y perd. En effet, l’aménagement du territoire et l’espace public ne résultent pas de simples décisions consensuelles et de sens commun. Il s’agit d’un espace où plus que jamais les systèmes de dominations et intérêts divergents persistent et s’y confrontent ! Heureusement, bon nombre de ces projets Smart ont été avortés face à la mobilisation des habitant·es, comme à Toronto en 2020.

Félix Boudru