Retour sur | La démocratie s ‘arrête-t-elle aux portes de l ‘entreprise ?

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Tous les citoyens de ce pays naissent et demeurent libres et égaux en droits. Mais est-ce valable entre 8h et 17h, du lundi au vendredi ? Les citoyens laissent-ils leur habit de démocrate au vestiaire au moment de franchir les portes de l’entreprise ? Si les conditions de travail ont évolué, les droits des « citoyens-travailleurs » dans l ‘entreprise restent un vaste champ à  conquérir.

Le pouvoir des actionnaires

Dans la hiérarchie décisionnelle en entreprise, les actionnaires sont au sommet car ils apportent de l ‘argent et supportent le risque de l ‘investissement ; ce sont eux qui exercent le pouvoir ultime dans l ‘entreprise en nommant le conseil d ‘administration. Les administrateurs gèrent donc la société en rendant des comptes à  ces actionnaires. Toutes les décisions stratégiques partent de là  ou y sont avalisées. A l ‘autre bout de l ‘échelle, le travailleur est censé amener sa force de travail dans l ‘entreprise, en échange de quoi il reçoit un salaire. En réalité, les actionnaires sont depuis longtemps un nombre bien limité, qui ne court presqu’aucun risque puisque la diversification de leurs investissements l ‘annihile. De l ‘autre côté, les travailleurs amènent bien plus que leur force de travail dans l ‘entreprise : chaque drame social (de Renault à  Delhaize) démontre que les personnes confrontées au licenciement perdent bien plus qu’un salaire. Jusqu’à  présent, deux grandes balises ont été apportées en Belgique au pouvoir de l ‘actionnaire : le droit social (l ‘ensemble des règles qui entourent les relations de travail et qui protège le travailleur) et la concertation sociale (le cadre de négociation entre les représentants des travailleurs et les patrons qui permet d ‘obtenir des avancées sociales). Ces deux balises, conquises par la lutte des citoyens-travailleurs, ont engendré une série de règles qui protègent le travailleur. Pourtant, celles-ci sont aujourd’hui soumises à  rude épreuve.

La concertation sociale en entreprise, c ‘est quoi ?

En Belgique, le temps fort de la démocratie en entreprise, ce sont les élections sociales. Elles ont lieu tous les 4 ans et servent à  élire les représentants des travailleurs, qui siègent dans deux organes paritaires (c ‘est-à -dire dans lesquelles il y a autant de représentants de la direction que de représentants des travailleurs). Le premier est le Conseil d ‘Entreprise (CE) et est obligatoire pour les entreprises d ‘au moins 100 travailleurs. C ‘est au CE que les travailleurs reçoivent les informations économiques sur l ‘entreprise, peuvent questionner l ‘entreprise et vérifient le respect des législations sociales. Le second est le Comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) et est obligatoire pour les entreprises d ‘au moins 50 travailleurs. Le CPPT est compétent pour améliorer les conditions de travail et pour contrôler le respect de la législation sur le bien-être.

Aujourd’hui, l ‘entreprise est-elle une démocratie ?

Les organes précités montrent que la démocratie en entreprise est en progrès mais elle est également perfectible. En effet, comme cité ci-dessus, les élections sociales ne concernent pas toutes les entreprises. De plus, élire des représentants syndicaux dans un organe de concertation ne veut pas dire qu ‘il y a une volonté de concertation de la part des patrons. Enfin, les prérogatives du CE et CPPT sont encore relativement limitées au regard du pouvoir actionnarial. Il convient d ‘améliorer rapidement ces points afin que la démocratie progresse dans les entreprises. En dehors du renforcement du cadre existant, il existe un éventail d ‘alternatives démocratiques. Citons l ‘exemple des coopératives de travailleurs : elles sont une forme d ‘entreprise nettement plus démocratique que les sociétés anonymes. Elles pratiquent le principe « un homme/une femme = une voix ». Dans ces structures où ils sont majoritaires, les travailleurs décident des grandes orientations de l ‘entreprise collectivement : par exemple, ils désignent leurs dirigeants et décident de la manière dont les bénéfices seront affectés. Plus largement, toute forme d ‘entreprise autogérée, c ‘est-à -dire une entreprise dont les travailleurs sont propriétaires, est à  promouvoir. Le citoyen-travailleur doit revendiquer cette démocratie et se battre pour qu ‘elle progresse dans l ‘entreprise. Que ce soit par sa voix au travail ou dans les urnes, que ce soit en améliorant les prérogatives des organes existants ou en adoptant de nouveaux modèles, les citoyens-travailleurs ont intérêt à  ce que la démocratie ne s ‘arrête pas là  où l ‘entreprise commence.

Pour aller plus loin :

  • Projet « Construire l ‘utopie », un voyage-reportage sur l ‘autogestion et la participation démocratique : www.utopiasproject.net/
  • Dynamiques de la concertation sociale, CRISP
  • Gouverner le capitalisme ? Isabelle Ferreras

Cet article a été rédigé par Nabil Sheikh Hassan pour JUMP, le magazine d ‘écolo j (Édition n °15 – Processus décisionnels)

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