Pour une prise en compte du genre dans le déconfinement et l’après crise Covid-19

Communiqués de presse

2020_Pour une prise en compte du genre dans le déconfinement

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Une carte blanche collective signée par le Selflove Gang

Nous sommes inquièt·es. La « crise » du Covid-19 agit comme un miroir grossissant de toutes les inégalités présentes dans notre société et, en particulier, des inégalités endémiques et persistantes entre les hommes et les femmes. Cette crise rend visible comme jamais la situation sociale et économique plus précaire des femmes.

Les femmes sont surreprésentées dans les emplois qui se sont révélés essentiels lors du confinement : soins de santé, soins aux personnes âgées, aide à domicile, commerces alimentaires, enseignement, crèches, nettoyage des établissements restés actifs,… Tout autant d’emplois cruciaux, applaudis massivement à 20h, et pourtant… dévalorisés, sous-rémunérés et généralement dépourvus de toute protection sanitaire.

Cette vulnérabilité est également rendue visible dans la distribution inégalitaire des tâches domestiques, de la garde des enfants et de la charge mentale du confinement : les femmes en sont les pourvoyeuses majoritaires (même en situation de télétravail), elles n’ont d’ailleurs pas d’autres choix dans le cadre des familles monoparentales, constituées à plus de 80% de femmes avec des enfants. Leur situation est particulièrement dramatique lorsqu’elles ont en charge des enfants en situation de handicap. La précarité s’accroit également pour les femmes sans-abri, migrantes ou sans papiers, pour les femmes racisées, pour les personnes en situation de prostitution, pour les travailleuses à temps partiel….

Enfin, soulignons l’aggravation dramatique des violences faites aux femmes, enfermées avec leur agresseur dans les univers confinés des foyers. A ce propos, Jean-Louis Simoens, coordinateur de la ligne Écoute Violences Conjugales, annonçait début avril une hausse de 20 à 30% des demandes d’aide téléphonique.

Une réponse politique, économique et sociale adaptée

Cette aggravation de la précarité et de la vulnérabilité dans lesquelles se trouvent les femmes dans notre société, nécessite une réponse politique, économique et sociale adaptée, en cette période de crise extrême.

A cet égard, l’absence de parité hommes-femmes dans le groupe d’experts en charge du déconfinement nous interpelle, ainsi que le regroupement d’expertises principalement techniques, économiques et scientifiques au sein de ce groupe. Il nous paraît indispensable d’ajouter un·e membre expert·e en charge d’une analyse en termes de genre et d’égalité des mesures qui seraient proposées et mises en œuvre, tant pour déterminer les étapes et les conditions du déconfinement, que pour organiser les mesures et aides destinées à panser les ravages de l’épidémie et de la suspension de la vie sociale, culturelle et économique de notre pays.

Il faut penser la situation singulière des femmes dans notre société, et cela à toutes les étapes de la réflexion. Pour ce faire, consulter les associations de femmes, présentes sur le terrain, nous paraît également indispensable.

Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques points que nous aimerions voir traiter en priorité:

  • Travail productif / domestique: toute décision quant à la réouverture des écoles et au retour au travail devrait comprendre une réflexion quant aux situations particulières des hommes et des femmes. Si la remise au travail a lieu avant la réouverture des écoles, qui gardera les enfants et qui retournera en priorité au travail ? Les mesures de reprise de la vie en société comportent un risque d’un déséquilibre de la charge mentale des vies domestiques et professionnelles au détriment des femmes – les hommes devant rattraper la productivité et les femmes compenser en travail domestique, risque qui ne peut être ignoré.

  • Accès aux soins de santé : le confinement commande aux personnes de ne sortir que pour des besoins essentiels, quitte à renoncer à certains soins. Le déconfinement progressif doit indiquer clairement que l’accès des femmes et des personnes transgenres à certains soins (gynécologie, dépistage de certains cancers, accès à contraception, avortement, traitements de transition, …) constitue des soins essentiels qui restent garantis.

  • Mesures sociales et économiques: les mesures destinées à soutenir les travailleurs·euses, indépendant·es, et toutes les personnes qui ont souffert de la mise à l’arrêt de leurs activités et de la suspension de leurs revenus, devront nécessairement intégrer la prise en compte des inégalités déjà bien documentées en termes de niveaux de revenus, d’inégalités dans les carrières (en particulier les carrières non normalisées comme les trajectoires professionnelles d’indépendant·es, de conjoint·es aidant·es, d’artistes et technicien·nes du secteur culturel), de calcul de la pension, de calcul du montant et de la durée des allocations de chômage, notamment s’agissant du statut de cohabitante. De nombreux·euses belges verront leurs conditions matérielles dégradées à l’issue de cette crise, et les femmes, qui souffrent déjà en général d’une situation sociale et matérielle plus précaire, risquent d’en souffrir encore davantage.

  • Personnes en situation de danger: les décisions relatives au déconfinement et à la sortie de crise ne pourront pas être un simple retour à la « normale » pour les personnes qui ont vu leur vulnérabilité s’aggraver pendant leur confinement, qu’il s’agisse des femmes victimes de violences conjugales, des femmes en situation de handicap, des enfants et adolescents en situation d’abus familial, des personnes sans-abri, des personnes en situation de prostitution et des migrant·es, sans statut et sans-papier. Le déconfinement ne sera pas le remède aux violences qu’ils et elles subissent.

La reconstruction d’une société plus égalitaire

Cette attention à la dimension genrée de nos conditions matérielles, économiques, sociales, culturelles, psychologiques, juridiques ne pourra qu’enrichir la reconstruction d’une société que nous voulons plus égalitaire, plus ancrée sur la prise en charge collective des enfants, notamment les enfants en situation de handicap, des personnes âgées, prise en charge qui reste encore largement assignée aux femmes, aux mères, aux filles, que ce soit bénévolement, dans une deuxième journée de travail, ou dans des emplois sous-rémunérés et en manque de valorisation et de reconnaissance.

Une société qui s’attelle à une réorganisation radicale et massive de « l’équilibre » entre travail productif et reproductif (et donc une rediscussion de ce qui fait une « carrière », en termes d’accès au chômage, pension, etc.), qui revalorise et reconnaisse le travail du « care », qu’il soit rémunéré ou non, chez les soignants, les travailleuses du soin à domicile et de l’aide aux personnes, les femmes vivant avec un enfant en situation de handicap ou avec une personne âgée, ainsi que les travailleurs de la grande distribution. Les travailleurs et travailleuses de l’associatif et du secteur culturel doivent pareillement retrouver une place revalorisée dans nos sociétés.

Si le confinement a aussi pris la forme d’une injonction à rester chez soi en famille, il a mal dissimulé l’inégalité des cellules familiales et la difficulté, voire le danger, pour certain·es de s’y retrouver. La crise que nous traversons ne doit pas être le prétexte d’un repli sur l’unité familiale et le foyer, mais pourrait en revanche être l’occasion de l’invention de nouvelles collectivités et solidarités. Les mesures proposées doivent donc éviter l’écueil d’une politique familialiste qui ne ferait qu’aggraver certaines inégalités et vulnérabilités.

Nous demandons donc qu’à tous les niveaux belges de pouvoir, le gouvernement intègre une perspective de genre dans cette période de confinement et de pandémie, ainsi que dans la transition du déconfinement et le temps de l’après-crise. Cette sortie de crise ne pourra se faire de manière juste et solidaire sans que la situation et la contribution particulières des femmes ne soient dûment prises en compte.

Séverine Dusollier, Professeure de Droit, Sciences Po (Paris), anciennement Université de Namur

Nathalie Grandjean, Maitresse de Conférences, Université de Namur, administratrice de Sophia, le réseau belge d’études de genre

RTBF, 14 avril 2020, Carte blanche collective « Pour une prise en compte du genre dans le déconfinement et l’après crise Covid-19

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