Retour sur | Voyage à Bure

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Bure est un petit village de 92 habitants situé dans le département de la Meuse, en France. C’est aussi un secteur où l’État français a décidé d’implanter, dès 1994, un « laboratoire de recherches scientifiques » à 500 mètres de profondeur…

C’est à Bure que l’ANDRA, responsable de la gestion des déchets nucléaires en France, a décidé il y a plus de vingt ans d’installer sa poubelle nucléaire où seront creusés à 500 mètres sous le sol les quelques 300 km de galeries retenant les déchets à Haute Activité (HA) et Moyenne Activité Vie Longue (MA VL), soit 99,9% de la radioactivité totale en France. Face à cette menace, une opposition d’abord locale, s’est dressée contre  le projet d’enfouissement de déchets radioactifs, CIGEO. Cette contestation a pris de l’ampleur il y a deux ans, avec l’organisation d’un camp « anti autoritaire et anticapitaliste contre le nucléaire et son monde », à l’été 2015. Depuis, les militant.e.s affluent, investissant les lieux lors de l’occupation du bois Lejuc et participant à la lutte pour sa reprise en août dernier.

En effet, l’ANDRA voue le bois Lejuc à un destin bien funeste: celui d’accueillir les puits d’accès et de ventilation nécessaires au projet. Centre névralgique de la lutte où se rencontrent les énergies joyeuses des militant.e.s qui le connaissent dans ses moindres taillis, le bois Lejuc fait l’objet d’un affrontement incessant, d’occupations, de prises et de reprises, de « burricades », de constructions, de défrichement et de nouvelles plantations. Le bois est bien vivant, il s’aménage au gré des péripéties qui font et défont la lutte.

Une lutte bien-sûr anti-nucléaire (mais pas que!).

Les dangers que représente cette voie ne cessent d’être dénoncés mais les États continuent de maintenir en vie une industrie gangrénée par soucis de « productivité énergétique ». Le problème des déchets nucléaires n’a pas trouvé sa solution avec le projet CIGEO comme certain.e.s aimeraient  le faire croire. Les précédentes expériences d’enfouissement de déchets nucléaires en Allemagne et aux États-Unis ont toutes prouvé leurs limites et se sont, dans les deux cas, soldées par des accidents destructeurs pour leur environnement. En Haute-Marne, depuis l’installation du laboratoire de l’ANDRA en 1998, les villageois assistent à un phénomène de nucléarisation du territoire. En témoignent les nombreux projets ayant tous pour objectif de transformer la région Grand Est en nouvelle »Silicon Valley » française. C’est ainsi que, progressivement, l’idée d’une région « à la pointe » de la technologie énergétique fit son chemin avec l’implantation d’une blanchisserie pour vêtements de travail du nucléaire à Joinville, d’un projet de création de diesel de synthèse (par gazéification de bois) SYNDIESE à Saudron à quelques kilomètres de Bure, mais également par la création de plusieurs cursus consacrés aux études nucléaires dans les universités de la région.

L’Andra prête à tout pour contrôler les terres des paysans

La problématique, en outre, touche aussi à la lutte paysanne. Les conséquences du projet sur les agriculteurs de la région seront, et sont déjà, nuisibles pour la survie d’un nombre important de paysans et de leurs cultures. Les terres, vendues suite aux pressions infligées aux habitants de la région, s’accumulent dans les mains de la SAFER, l’organe nationale gérant les terrains agricoles, qui les tient par des baux précaires renouvelables chaque année. Ainsi, la SAFER travaillant main dans la main avec l’ANDRA, permet à cette dernière d’ajouter aux 3000 hectares déjà aquis, les terres manquantes à l’instauration de son désert nucléaire. Tout ceci oblige souvent les paysans à cultiver des terres plus éloignées. Il ne fait pas de doute que les cultures ne pourront cohabiter à l’avenir à proximité de la potentielle déchetterie nucléaire, ce qui menace gravement les productions de la région. La colère des paysans se comprend donc au futur incertain que leur réserve le projet CIGEO.

Arroser la région avec des millions pour faire passer le projet

De plus, les relations qu’entretient l’Agence avec les élus locaux sont plus que suspectes: routes remises à neuf, nouvelle salle de fête, offres et rachats de terres à des prix hallucinants,… L’ANDRA dispose d’un budget de 40 millions d’euros par an pour arroser les nombreuses villes et villages des deux départements voisins et elle n’hésite pas à tout miser pour attirer les faveurs envers un projet estimé à 32,8 milliards d’euros. L’acceptation du projet mise à mal par les nombreuses démonstrations d’opposition dès la naissance du projet, l’ANDRA  en vient même à construire un « mur amovible de béton » dans le bois pour en interdire l’accès aux opposant.e.s. Ce mur est le symbole de la force autoritaire dont l’ANDRA fait usage pour imposer son projet peu populaire.

Le projet qui légitime le nucléaire pour les 150 prochaines années

La capacité du Cigeo devrait être rempli 30% par les déchets déjà produit en France jusqu’à aujourd’hui. Le reste de la capacité est prévu pour le nucléaire pour les 150 prochaines années. Le projet a donc pour objectif de trouver une « solution définitive » aux déchets et permettre la prolongation du nucléaire. Par ailleurs, l »Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) recommande le développement de ce genre de projet dans tous les pays nucléarisés maintenant qu’il interdit aux pays d’exporter leurs déchets hors de leur frontières nationales. On pourrait donc voir ce genre de projet se développer dans d’autres pays dont la Belgique.

La chute du Bure de Merlin

Les « bures à cuire » ont donc décidé de tester la fameuse « amovibilité » du mur et c’est ainsi que fut célebrée en aout 2016 chute d’une construction honteuse dans un joyeux bordel. Les combattant.e.s reprirent le bois obtenu frauduleusement par l’ANDRA et l’occupent depuis lors. Cette réappropriation du bois est menacée et l’usage de la force dont les vigiles de l’ANDRA font preuve face à la résistance des militant.e.s a encore une fois prouvé que la lutte était avant tout une lutte contre l’autorité. Ce pouvoir autoritaire et injustifié qu’incarne l’ANDRA est l’ennemi numéro 1 de toutes celles et ceux qui défilent pacifiquement à la maison de la résistance ainsi qu’au bois Lejuc. Leurs actions font face à une répression souvent violente des forces de l’ordre (ou du désordre) mais également du personnel de sécurité de l’ANDRA qui n’a pas hésité, il y a une semaine à peine, à vider un bidon d’essence sur une barricade de bois à proximité de manifestant.e.s.

La lutte grandie

Face à cela, les énergies s’organisent dans une atmosphère créative et toujours respectueuse pour réfléchir à des modes de fonctionnements plus inclusifs et horizontaux. Des assemblées ouvertes à tou.s.tes sont organisées régulièrement laissent émerger les idées de chacun.e ainsi que les remarques et propositions d’amélioration, le tout dans une ambiance bienveillante. L’usage de l’action directe est largement mis en avant et l’appel est lancé à l’insurrection artistique. Les dates du 14 au 18 février 2017 on été le défiler des solidarités et les actions décalées pour que se déchaînent toujours plus vivement les vents de liberté et de résistance que porte chaque âme amenée par la lutte dans ce recoin de Lorraine.

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