Concentrer + diluer = «développer» (Concentrer et diluer, c’est toujours développer)

En matière d’aménagement du territoire, un truisme est fréquemment invoqué : Il convient de densifier les villes afin d’éviter l’étalement urbain.

C’est l’argument culpabilisant renvoyé aux 18.000 défenseurs de la friche Josaphat : en s’accrochant à la préservation d’un espace vert de fait, ils feraient le lit de l’étalement urbain qui mite nos campagnes.

La difficulté c’est que, depuis les 30 Glorieuses, deux mouvements sont simultanément à l’œuvre : la densification tendancielle des villes et la péri urbanisation structurelle des campagnes.

Les villes se densifient car leur population croît

Là gît l’emploi. C’est un mouvement à première vue positif sur le plan de l’environnement. La mitoyenneté induit des économies d’énergie. L’imbrication des individus et de leurs activités réduit la distance des trajets et donc les émissions de gaz à effet de serre. Les villes sont ainsi souvent considérées comme des établissements humains performants. Mais vivre en ville n’est pas toujours une sinécure : bruit, pollutions, cherté, promiscuité…

L’étalement urbain

L’étalement urbain a été permis par l’usage de la voiture qui s’est répandu après la deuxième guerre mondiale.

En Belgique, il a été encouragé par les politiques de l’Etat national, à l’époque, dans le champ de la fiscalité, du logement et de la mobilité. Il mite les paysages, grignote des terres agricoles et rend les néo ruraux captifs de la voiture. Mais il répond à des aspirations culturelles profondes dont le besoin de contact avec la nature, le calme, la continuité des racines familiales…

Si ces deux logiques sont poussées à l’extrême, les villes deviennent inaccessibles par l’envolée des prix de l’immobilier. Et la campagne n’a plus de campagne que le nom même si, bien sûr, la ruralité subsiste, heureusement. Mais ce raisonnement rencontre au moins deux limites.

Deux limites

D’abord, les ruraux ne vivent pas forcément comme des urbains, qui sont, en moyenne, plus déterritorialisés. Or, un seul vol transatlantique représente l’équivalent des émissions annuelles d’un automobiliste moyen. D’autre part, la ville suppose, par sa densité, des émissions indirectes importantes puisqu’elle ne produit généralement pas ce qu’elle consomme.

Les modes de vie diffèrent néanmoins selon l’âge, la taille et les revenus du ménage, le milieu social, les habitudes de consommation etc. Évitons les jugements moraux, la sobriété peut s’exercer partout.

La croissance économique

René Schoonbrodt désigne le responsable : « Ces destructions correspondent aux exigences de la croissance économique (…) L’organisation du territoire qui résulte de ces productions/destructions, affermit les inégalités (…) déjà présentes dans tous les secteurs de la vie sociale. Elle ne fait pas partie des enjeux autour desquels s’organise la vie politique, sociale et culturelle du pays. Elle est comme « hors conflit » ; même regrettée, elle est acceptée par l’ensemble de la société qui a fait sienne l’idée que la barbarie se justifie par la croissance. »

Ce sont, en effet, les forces économiques qui mènent la danse. Pourtant l’équation économique est le plus souvent absente des débats sur l’urbanisme.

Plusieurs facteurs appellent à une révolution dans la manière d’envisager villes et campagnes : l’évolution des perspectives démographiques – influencées par les crises et le télétravail -, la crise climatique, la perte massive de la biodiversité, la fin des énergies fossiles et la justice sociale. La Commission européenne recommande que les politiques tiennent compte de leur incidence sur l’utilisation des sols, de façon à «éviter toute augmentation nette de la surface de terres occupée» d’ici à 2050. La fuite en avant, c’est terminé. Il va falloir changer radicalement la culture de l’espace et organiser sa résilience aux crises.

La tâche qui incombe au politique est cruciale

Comme l’écrivait René Schoonbrodt en 1987 : « reconstruire la ville et sauvegarder la campagne sont des objectifs qui ne seront atteints que par une solide mobilisation de l’opinion publique. » Nous, écologistes, devons assumer cette réflexion.

Pour aller plus loin :

  • René Schoonbrodt, Essai sur la destruction des villes et des campagnes, Pierre Mardaga.
  • Commission européenne, « Lignes directrices concernant les meilleures pratiques pour limiter, atténuer ou compenser l’imperméabilisation des sols ».

Isabelle Pauthier, Députée bruxelloise