Publicité, consommation et violence symbolique

A l’approche des fêtes de fin d’année, la publicité est partout : à la télévision, à la radio, sur Internet et dans l’espace public.

Loin d’être anodine, l’omniprésence de la publicité, bras armé de la consommation de masse, en dit long sur nos sociétés contemporaines.

Les investissements publicitaires en Belgique

En 2017, les investissements publicitaires ont représenté en Belgique plus de 4 milliards d’euros, un chiffre en constante augmentation.
Les investissements publicitaires correspondent aux dépenses en publicité des annonceurs, tout média confondu – la publicité, la télévision, à la radio, en ligne… Ce montant représente 360 euros par année par Belge, soit près d’un euro par jour par personne. Ces sommes conséquentes ont pour objectif d’augmenter toujours plus les ventes de ces annonceurs. D’un point de vue systémique, la publicité est un instrument visant à accroître de manière linéaire la consommation des ménages dans une logique de croissance économique infinie.

L’omniprésence de la publicité, bras armé de la consommation de masse

La publicité, quand elle participe à la diffusion de l’idéologie dominante, est une forme de violence. Plus qu’un besoin légitime d’information, la publicité façonne l’imaginaire collectif en véhiculant une vision du monde particulière. Elle fait raisonner en chacun·e de nous notre identité réelle ou perçue – nos valeurs, notre culture, notre place dans la société – pour créer un désir de consommer. Cette identité se reflète ensuite dans nos habitudes de consommation et agit comme un marqueur social, témoignant aux autres notre identité, réelle ou perçue. La publicité va jusqu’à flatter nos désirs narcissiques de consommation instantanée et illimitée. Ainsi, Proximus proclame que Tu n’es pas obligé d’être « epic » mais si tu veux, tu peux ou Base qui propose un max de data à « Atypique » (comprenez, vous) parce que « Atypique » est libre. « Atypique » se débrouille mieux et ose plus que tout le monde. Bref « Atypique» ne fait pas comme tout le monde.

Alors, pourquoi vous – qui êtes tellement différent·e·s des autres – ne consommeriez-vous pas la même chose que les autres ? La publicité flatte la plus grande crainte de l’être moderne : être accepté·e par les autres tout en ayant l’impression d’être atypique, épique, au-dessus de cette masse homogénéisée.

Mais loin de l’individu rationnel faisant un choix libre et conscient, notre consommation participe à la construction de notre identité et témoigne de notre place dans la société.

La consommation, une violence symbolique

Le portrait de ce couple de gilets jaunes dans le journal Le Monde est révélateur des rapports de classe entretenus par la publicité et la consommation. Ce couple faisait part aux journalistes du Monde de leur difficulté à boucler leurs fins de mois, ce qui n’a pas manqué de soulever de vives critiques chez une partie des lecteurs·rice·s de ce même journal. Ces dernier·e·s, issu·e·s principalement des classes aisées, ne comprenaient pas la difficulté de ce couple à joindre les deux bouts. Plus encore, iels s’indignaient des dépenses du couple et de leur incapacité à gérer correctement leur budget.

Ces réactions témoignent d’une véritable violence symbolique, c’est-à-dire le processus qui fait passer pour naturel et donc légitime le rapport de domination entre classes sociales. Si les pauvres sont pauvres, c’est simplement de leur faute, de leur incapacité à gérer correctement un budget. Si les pauvres restent pauvres, c’est parce qu’ils dépensent trop, qu’ils consomment mal.

à l’inverse, les classes populaires acceptent inconsciemment leur domination et intériorisent la vision du monde des classes supérieures. Les classes populaires veulent ressembler aux classes moyennes, les classes moyennes aux classes aisées. Ce phénomène est rendu possible par la consommation de masse, entretenu par l’omniprésence de la publicité.

Plus que répondre à nos besoins, la publicité crée des envies qui maintiennent des rapports de domination entre classes sociales. En faisant miroiter le désir de s’élever socialement, la consommation de masse participe à la domination des classes populaires, par la violence symbolique. En cette fin d’année, l’omniprésence de la publicité, bras armé de la consommation de masse, doit être considérée pour ce qu’elle est : un instrument au service des dominant‧e‧s.

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Lionel Legrand