Et si les gourmands changeaient le monde ?

Et si les gourmands changeaient le monde

Avez-vous déjà entendu parler du mouvement « slow food » ?

Ce mouvement s’inscrit dans la même démarche que le « slow travel », les « slow cities » ou les « slow sciences ». L’idée est de ralentir afin de mieux vivre, de respecter les Hommes et leur environnement. Pour en savoir davantage, j’ai posé quelques questions à Patrick Böttcher, porte-parole de Slow Food Metropolitan Brussels.

PM- « Slow Food », qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

PB- Pour l’écologiste convaincu et militant que je suis, Slow Food est avant tout une histoire de prise de conscience de notre besoin de dénoncer les abus de l’industrie agroalimentaire et de la malbouffe, tout en étant constructif, positif, en mettant la qualité et le goût en avant. Dans cet ordre d’idées, l’internationalité des activités de Slow Food ainsi que les rencontres que permet l’association m’ont persuadé que mon militantisme pouvait à la fois y trouver des réponses mais aussi des possibilités de m’exprimer.

PM- Que représente exactement le mouvement Slow Food ?

PB- Slow Food a officiellement commencé ses activités en 1989. Son président Carlo Petrini et ses membres fondateurs avaient voulu alors réagir aux scandales qui ont émaillé la viticulture transalpine dans les années 80 en remettant le terroir et le producteur artisanal au centre du débat. Mais très rapidement, leurs activités se sont élargies à la lutte contre l’émergence du Fast Food, symbole de la malbouffe industrielle.
Depuis 1989, Slow Food s’est transformé en mouvement mondial impliquant des millions d’individus, producteurs et consommateurs de 160 pays, avec, comme leitmotiv, la lutte pour la préservation d’aliments bons, propres et justes, accessibles à tous et marqueurs du patrimoine gastronomique de chaque région où l’organisation s’est implantée. Le mouvement souhaitait également développer ou préserver des projets durables permettant aux producteurs de pouvoir survivre dans la dignité sociale et dans la créativité artisanale.

PM- Comment l’organisation fonctionne-t-elle ?

PB- L’organisation de Slow Food International est divisée entre sa maison mère à Bra (Turin), siège de son Université des Sciences Gastronomiques (créée en 2004), et l’entièreté des Convivium, groupements locaux liés à une région ou à une ville répartis dans le monde entier (9 en Belgique). Ils œuvrent à diffuser le message de l’Association Mondiale ainsi qu’à assurer la protection des producteurs artisanaux locaux et des aliments marqueurs de ces régions. Ce réseau compte aujourd’hui plus de 100.000 membres Slow Food actifs dans le monde entier.
A Bruxelles, le Convivium local porte le nom de Slow Food Metropolitan Brussels.

PM- Comment « Slow Food Metropolitan Brussels » est-elle née et quels sont ses objectifs ?

PB- Notre Convivium est né en avril 2015 sous sa dénomination actuelle, en succédant à l’ASBL Karikol.
Nos objectifs principaux sont :

· Stimuler la société de la communauté urbaine de Bruxelles à redécouvrir les aliments anciens et locaux en incitant à un retour au sol, en renforçant l’économie locale, en rendant aux gens le pouvoir sur leur assiette et en luttant contre le gaspillage de nourriture.
· Faire appel, par une approche transversale, à toutes les structures de l’Horeca (Hôtels, Restaurants, Cafés) mais aussi aux producteurs, revendeurs, associations, coopératives et marchés de nourriture, sans oublier le grand public.
· Utiliser, à court et à long terme, quatre axes de pénétration afin de réaliser les objectifs globaux de notre convivium : Éducation, Communication, Mobilisation et Gestion.
· Défendre la biodiversité en œuvrant à préserver de la disparition les innombrables grains traditionnels, légumes, fruits, races animales et produits alimentaires menacés par la prévalence des plats cuisinés et par l’industrie agroalimentaire.

Pour atteindre ces objectifs, nous publions des articles, participons à des émissions radio et/ou télé (Bientôt à Table, etc..), organisons des conférences et des évènements (Village Slow Food à Bxl Champêtre, Vini, Birre, Ribelli).

Nous participons aussi activement, comme le veut le quatrième objectif, à créer et à préserver les Sentinelles belges (fromage de Herve, sirop de Liège et de Hesbaye, abeille noire indigène), les produits belges de l’Arche du Goût. Nous gérons également l’Alliance Slow Food des Chefs (un projet de la fourche à la fourchette) et notre appli Slow Food Planet.

PM- Selon vous, quelle est la place de l’alimentation dans des luttes telles que la protection de l’environnement ou la justice sociale ?

PB- Comme nous le soulignons dans notre premier objectif, l’alimentation est probablement aujourd’hui notre réel dernier pouvoir en termes des choix que nous pouvons faire et/ou ne pas faire. C’est un choix pour lesquels aucune loi, taxe ou administration ne s’opposent à l’expression de notre volonté.  Nous pouvons, nous devons ainsi à tous moments, via notre choix alimentaire, participer à la protection de l’environnement ou à la justice sociale.
Nous avons le pouvoir de ne pas céder, par ces choix, aux chants des sirènes du complexe agriculture industrielle, publicité et grande distribution. Nous pouvons retourner vers des aliments de qualité, bons, propres, justes, locaux et saisonniers, en faisant ainsi revivre, via les chaines les plus courtes possibles, une agriculture durable, profondément respectueuse de l’individu et des sols, comme nous l’avons connue avant l’avènement des techniques industrielles au lendemain de la seconde guerre mondiale.  Le respect de nos producteurs, de la survie de notre terre et de notre santé passe inévitablement par un positionnement sans équivoque dans ces choix.

PM- Auriez-vous des conseils pour celles et ceux qui souhaitent adopter une façon de se nourrir plus slow ?

PB- Il faut avant tout recréer un tissu humain autour de notre alimentation. Nous devons absolument aller vers les autres consommateurs, vers nos jeunes et nos enfants, pour construire quelque chose, ensemble, dans des échanges vivants. Nous devons apprendre, ou réapprendre, à retourner, à travers les chaines courtes, vers les producteurs dans leurs fermes, dans les marchés ou, quand ce n’est pas possible, vers des commerces spécialisés avec un vrai conseil de produits de terroirs hautement qualitatifs.

Nous devons, dans nos villes et leurs périphéries, apprendre ou réapprendre à devenir le plus indépendant possible en privilégiant une agriculture urbaine, comme le montrait récemment le film Demain à Detroit ou le projet GoodFood.brussels.

Nous devons enfin exprimer clairement à nos élus quels sont nos choix pour un avenir de qualité alimentaire, en leur accordant notre confiance mais en ayant de cesse de leur rappeler qu’en ayant voté pour eux, ils sont les garants de nos choix.
Dans le même ordre d’idées, nous devons, dans la rue, dans la presse, partout où nous le pouvons, ne pas hésiter à clamer notre profonde indignation quand un ministre fédéral de tutelle ose prétendre que l’agriculture biologique doit rester à discrétion dans notre pays car elle ne représente, selon lui, aucunement un modèle économique viable. Pourtant, tout près de chez nous, le Danemark s’apprête, dans un an et demi, à atteindre l’abandon intégral des herbicides, pesticides et autres intrants nuisibles à la biodiversité, cela dans un modèle économique des plus viables et durables.

 

Liens :
Site web de Slow Food International
Site web de Terra Madre
Site web de la Fondation pour la Biodiversité (Sentinelles, Arche du Goût)
Site web du Convivium Slow Food Metropolitan Brussels
Site web de l’Alliance Slow Food des Chefs – Belgique
Site web de Vini, Birre, Ribelli
Site web du Brussels Slow Food Village

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Pauline Marchand