Covid-19 vs. le droit des personnes détenues au maintien des relations familiales et interpersonnelles

16 mars 2020. Date fatale. Plus aucune visite de proches ne sera autorisée en prison, et ce jusqu’à nouvel ordre La nouvelle tombe comme une chape de plomb sur la tête de toutes les personnes incarcérées. Les visites, c’est souvent « ce qui nous fait tenir ».

Les personnes détenu·es sont des pères, des mères, des fils et filles, des ami·es,… En temps normal, il est déjà très difficile de garder les contacts. Les prisons sont le plus souvent excentrées, mal desservies par les transports en commun, et les modalités des visites restent trop souvent sujettes au loisir de l’administration pénitentiaire. Le jour où il sera considéré qu’il y a trop peu d’agent·es disponibles pour « assurer la sécurité », l’enfant – qui doit rater des cours pour correspondre aux horaires dictés par la prison et qui a fait toute la route de Bruxelles à Marche-en-Famenne – devra revenir une prochaine fois. Il en va de même pour les conjoint·es qui ont dû passer à mi-temps et des parents parfois vieillissant·es et plus très vaillant·es sur la route, …

Toutes les personnes détenues, en principe, jouissent du droit de continuer à exercer leurs relations familiales et interpersonnelles, et durant tout le temps de la détention1

La période de confinement nous a toutes et tous impacté·es dans nos droits. On nous a demandé l’effort de ne plus voir nos proches pendant un certain temps. Mais pour la grande majorité, nous avons organisé des
« coronapéros », nous sommes allé·es les voir à leurs balcons, pour les plus aventureux·ses, nous avons même été faire des balades avec elleux.

Nos libertés ont été restreintes, et pourtant, nous étions toujours libres. En tous cas bien plus que les personnes incarcérées

Le gouvernement annonce d’emblée que chaque détenu·e disposera de 20 euros de crédit d’appel, afin de « compenser l’annulation des visites ». 20 euros de crédit, (ça représente environ 2h d’appel) pour 6 semaines de confinement (au moment où ces lignes sont écrites).

Les détenu·es et leurs proches demandent de communiquer par vidéoconférence ? Allons bon, les technologies en prison ne sont réservées pour le moment qu’afin de comparaitre virtuellement lors de leurs audiences (et ainsi diminuer significativement la qualité de leur procès).

à cela s’ajoute la réduction du temps de préau, la variabilité des horaires, l’augmentation des prix de la cantine, les repas encore moins fournis que d’habitude, la réduction des douches (parfois une par semaine tout au plus), les activités annulées (cours, sports, ateliers, …).
La tension monte, et c’est normal.

« Dans les maisons de repos, les visites aussi sont interdites ». Oui. Sûrement pour un mieux. En prison aussi, sûrement pour un mieux. Vu la promiscuité et les conditions d’hygiène déplorables déjà en temps normal, les prisons sont un foyer rêvé pour n’importe quelle petite miette de coronavirus.

Mais le traitement réservé aux détenu·es durant cette crise est symptomatique : ils et elles sont constamment oublié·es. Leur existence est refoulée, déniée, reniée. à l’annonce – ratée – de la possibilité de visites en maison de repos et établissements pour personnes handicapées, justifiée par la tentative de rendre les mesures de confinement « plus humaines pour les personnes isolées », pas un mot pour les personnes en prison.

Il est clair que sans masque, sans test, sans gants,… il serait dangereux de laisser les visites en prison se dérouler comme si de rien n’était. Mais si on avait des masques, si on avait des gants, si on avait des tests,… la situation aurait été moins catastrophique que ce qu’elle n’est. Mais bon, ça, ça ne vaut pas que pour les prisons.

Quoi qu’il en soit, les détenu‧es, leurs proches et leurs besoins les plus vitaux, à savoir se voir, se sentir, se toucher, communiquer, se rassurer,… ont été hypocritement niés durant cette crise. Et parmi tous les droits violés par les mesures gouvernementales durant le coronavirus, il faudra se rappeler que des familles et ami·es ont été angoissé·es pendant des semaines à ne pas savoir comment se portait leur proche incarcéré·e, et que les détenu·es n’ont pas pu se soulager des mesures de confinement en rattrapant leur pile de livres en retard, en se recentrant sur l’essentiel, en se lançant dans le jogging ou en allant dévaliser le Brico du coin.

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1. Règles Nelson Mandela, n° 58 ; Règles pénitentiaires européennes, art. 24.1 ; loi de 2005 sur le statut interne des détenus

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Nicolas Lecoq