Crise Covid : vers un changement positif

Pékin, 16 octobre 2020, 19h44. Alors que les États membres de l’Union Européenne viennent d’annoncer le retour au confinement et la Commission Européenne de clôturer le Semestre européen en sonnant l’alerte, Xi Jinping, quant à lui, hume un Sauternes, un vin qu’un ami lui a ramené d’une de ses propriétés viticoles dans le Bordelais.

Il regarde par la baie vitrée de son salon et lentement, porte à ses lèvres le breuvage ; il ferme les yeux. Le flot blanc galope nerveusement dans sa bouche, chevauche sa langue et fouette sa gorge avant de disparaître. Il ouvre les yeux et sourit. Celui qu’il a appelé le diable (le covid-19) a été vaincu, les centres commerciaux se remplissent à nouveau ; la Chine elle fournit désormais masques, médicaments et aide sanitaire aux pays en difficulté. Elle ne connaît plus la maladie et est un endroit sûr. Même si ses frontières restent fermées aux étranger·es, même si le port du masque est obligatoire et que les applications permettent encore de traquer les contaminé·es.

Le modèle de gestion à la chinoise en a convaincu plus d’un : d’aucuns comme la France macronienne propose d’alourdir l’arsenal de lois d’exception, et de prolonger l’état d’urgence sanitaire ; quand d’autres suivent la Hongrie ou Israël, et travaillent sur des projets de lois visant à limiter les libertés individuelles, dans le cadre de la lutte perpétuelle contre la pandémie par l’usage de la technologie.

Ce scénario d’anticipation est le reflet d’une question que beaucoup se posent. Sommes-nous sur le point de tomber dans cauchemar orwelien d’une société hyper-sécurisée et techniciste ou la crise du covid-19 serait l’occasion de sortir d’un sommeil paradoxal qui nous maintient depuis longtemps en léthargie ?

Georges-Louis Bouchez, en bon Président du MR, a déclaré « la décroissance qu’on nous vend à gauche, c’est ce que nous vivons aujourd’hui », faisant référence au confinement. Or, avec un système décroissant, nous aurions, selon Renaud Duterme1 « sans aucun doute fait face à la pandémie de façon moins brutale et tragique ». Soit ! On ne peut pas modifier le passé. Par contre, on pourrait faire de la crise une opportunité pour aller vers la décroissance, et ainsi s’offrir le luxe de changer le paradigme en dénonçant l’absurdité du « croître pour croître »2.

En effet, notre rapport à la science, la foi dans le progrès de l’humanité n’a cessé de s’amplifier depuis le 19ème siècle et, cela s’est fait au détriment de la nature et du bien commun.

Après la crise de 2008, les soubresauts d’une économie bien trop connectée ne nous ont pas empêché·es de continuer à valider le modèle d’une société techniciste. Aujourd’hui, cette crise nous montre notre vulnérabilité, une dépendance au marché mondialisé, à un système carnassier qui se nourrit de la faiblesse de celleux qui veulent bien croire en lui (et des autres…), à l’origine de crises sanitaires et dont les morsures meurtrissent l’humanité.

Pis encore, à défaut de provoquer ce que Marx aurait appelé « un saut qualitatif »3, le covid-19 pourrait être une main tendue vers un capitalisme plus dynamique. Sa forme la plus répandue, le e-commerce4, fait partie de notre quotidien. Avec une économie digitalisée qui se passe de tout contact, les alchimistes du capitalisme pourraient être en phase de transformer le plomb en or. La crise du covid-19 ne faisant que leur accélérer le pas vers leur longévité.

Dans le même temps, plusieurs petit·es producteur·rices font face à une demande accrue, même si les files devant les grandes surfaces restent longues. Peut-on espérer que les consommateur·’rices garderont cette nouvelle habitude d’aller chez le·a maraicher·e du coin? Par ailleurs, certaines agglomérations mettent en place des pistes cyclables et trottoirs plus larges afin de garantir la distanciation sociale prônée. Et si finalement on conservait sur le long terme l’espace octroyé aux usager·es faibles à titre provisoire, non plus pour des raisons de sécurité sanitaire, mais de sécurité face aux automobilistes et par responsabilité écologique ? Pour l’heure, il apparaît que certain·es responsables de municipalités touristiques envisagent de restreindre le nombre de visiteur·euses à long terme, constatant à quel point il est plaisant pour les habitant·es de déambuler dans leurs villes sans prendre de bain de foule à chaque sortie.

Si quelques hommes et femmes politiques locaux·les prennent des mesures pour le bien de leurs administré·es, et finalement aussi pour le bien de l’humanité, il y a lieu d’interroger la classe politique dans son ensemble ainsi chacun·e d’entre nous: pourquoi face au coronavirus, nous restreignons nos libertés de manière drastique alors nous ne faisons (presque) rien pour limiter le changement climatique ? Cette dernière réalité nous apparaît sûrement trop lointaine pour que nous soyons aussi sévères avec nous-mêmes. Mais si nous continuons à nous voiler la face, dans quelques années, nous réaliserons que l’humain a provoqué le covid-19 de la Terre (avec l’augmentation de la température qui s’ensuit), de sa planète, de sa maison…Sans maison, les générations futures seront des sans-abris… Il est donc également temps de cesser ce racisme de classe, ce phénomène qui stigmatise les pauvres comme étant des fainéant‧es ou des voyous. En effet, ce sont aujourd’hui plutôt les personnes doté·es de pouvoir politique et économique qui sont fainéant·es, s’abstenant de repenser le système, par pure facilité. Et dans cette voyoucratie qu’iels incarnent, iels en profitent tant qu’iels peuvent. Mais nos descendant·es seront comme les leurs: des sans-planètes habitables !

Prenant le contrepied d’Emmanuel Macron, le Président de la République Fédérale d’Allemagne annonçait le 11 avril dans une allocution télévisuelle que « le covid-19 n’est pas une guerre mais un test pour l’humanité »5. Dommage qu’il n’ait presque aucun pouvoir en pratique…

La formule Macronienne se positionne sur le terrain du conflit ; celui d’une lutte manichéenne où, à l’instar d’une quête de Heroic Fantasy, l’humanité fait face à un ennemi invisible et mortel qu’elle doit terrasser pour survivre.

Mais une civilisation n’est jamais pérenne très longtemps au sortir d’une crise, même après une « victoire » ses maux, très vite, finissent par la ronger

C’est pourquoi les mots du Président allemand ont presque un accent prophétique. En effet, nos sociétés vont être amenées à définir une nouvelle politique. Il ne s’agit plus « d’interroger [notre] modèle de développement » comme le suggère le président Macron mais de modifier drastiquement notre rapport à la communauté, à nos ancien·nes, à notre économie et à notre utilisation de la technologie.

Concluons enfin avec la philosophe Isabelle Stengers. Pour elle, nous sommes à un moment crucial pour l’avenir du monde tel que nous le connaissons. Il faudra montrer au pouvoir une force d’action citoyenne et durable qui ira à l’encontre de l’agenda et des prospections de nos dirigeant·es6.

Le discours politique véhicule des images et une mythologie forte de sens. Il nous revient à nous, citoyen·nes, de nous emparer de l’Histoire, d’être les Prométhée qui offriront un nouveau feu aux consciences de demain.

___

1 Enseignant en géographie et membre du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM).

2 « Monsieur Bouchez, ce que nous vivons actuellement est aux antipodes du modèle promu par les théoriciens de la décroissance », une opinion de Renaud Duterme, publiée le 10 avril 2020 sur https://www.lalibre.be/debats/opinions/monsieur-bouchez-ce-que-nous-vivons-actuellement-est-aux-antipodes-du-modele-promu-par-les-theoriciens-de-la-decroissance-5e8f28ebd8ad581631d74ebb

3 https://www.gaucheanticapitaliste.org/huit-theses-sur-le-coronavirus/; https://www.courrierinternational.com/article/la-lettre-de-leduc-coronavirus-point-de-depart-dune-demondialisation

4 https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/14/coronavirus-sur-les-sites-de-vente-en-ligne-le-necessaire-passe-avant-le-superflu_6036591_3234.html; http://revueperiode.net/technique-et-capitalisme-entretien-avec-andrew-feenberg/; https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1972_num_14_1_1857

5 https://www.lalibre.be/planete/sante/coronavirus-boris-johnson-compare-la-lutte-contre-la-pandemie-a-la-deuxieme-guerre-mondiale-5eb4e30f7b50a67d2e2fa357; http://www.bruxelles2.eu/2020/04/la-pandemie-de-coronavirus-nest-pas-une-guerre-cest-un-test-de-notre-humanite-steinmeier/

6 « Isabelle Stengers : faire commun face au désastre », sur https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/150320/isabelle-stengers-faire-commun-face-au-desastre, page publiée le 15 avril 202

___

Kevin Gikag et Jéromine Gehrenbeck