Crise financière de 2008 : une décennie perdue ?

La propagation début mars du coronavirus aux pays dits développés ont fait vaciller les principales places boursières européennes et américaines. Plus de dix après la crise financière de 2008, l’histoire se répéterait-elle ?

« La crise qui arrive est peut-être plus grave que celle de 2008 » s’inquiétait la Première ministre Sophie Wilmès1, lors de la présentation des premières mesures socio-économiques prises par le gouvernement fédéral pour lutter contre le Covid-19.

Et les récents effondrements boursiers ne viennent que confirmer les craintes émises par la cheffe du gouvernement. Ainsi, le jeudi 12 mars dernier, le BEL20, indice boursier regroupant les vingt plus grandes entreprises de la bourse de Bruxelles, a connu la plus forte chute en une seule séance de son histoire, avec une dégringolade de 14,21%. Même son de cloche à Paris, Francfort et Wall Street.

Après la terrible crise financière de 2008, qu’a-t-on véritablement appris des déboires de la haute finance? Quelles leçons avons-nous réellement tirées ?

L’argent coule à flots

Si les récents replis sur les marchés financiers sont d’une ampleur sans précédent, ils n’ont d’égal que leurs hausses spectaculaires de ces dernières années. La dégringolade des places financières du mois de mars – si impressionnantes soient-elles – doivent être comparées à la décennie dorée qu’elles ont connue. Le coronavirus et les déconvenues boursières qu’il a induites ne peuvent certainement pas servir d’excuse à une nouvelle fuite en avant du capitalisme financier2.

En effet, on observe depuis la crise de 2008 une sur-performance de la plupart des indices boursiers à travers le monde. Au cours de la décennie passée, l’indice (S&P 500) – l’indice boursier rassemblant les 500 plus grandes entreprises cotées sur les marchés boursiers aux États-Unis – a plus que triplé, passant de 1064 points en juillet 2010 à plus de 3380 points en février 2020.

Et pour cause! Après la crise financière de 2008, les principales économies de la planète ont massivement fait tourner la planche à billets pour garder à flot un édifice franchement chancelant. Les banques centrales du monde entier se sont portées garantes du système financier international en ouvrant les vannes de la création monétaire. Cette action, couplée avec une baisse massive des taux d’intérêts, avait pour but de relancer l’activité économique par le biais du crédit. Les banques, assurées de disposer de liquidités suffisantes, auraient dû faire circuler l’argent en prêtant aux ménages et aux entreprises. En vain.

Par exemple, entre janvier 2015 et fin 2018, ce sont environ 2.600 milliards d’euros qui ont été injectés par la Banque Centrale Européenne dans le circuit monétaire, dans le cadre de son programme de création monétaire – le Quantitative Easing. L’économiste Pierre Larrouturou considère que près de 90 % de ces 2.600 milliards d’euros sont allés à la spéculation sur les marchés financiers3.

Les banques, inondées de liquidités et confrontées à de très faibles taux d’intérêts, se sont tournées vers des activités nettement plus rentables que le financement de l’économie productive, à savoir les activités sur les marchés. Au contraire de la bourse, la croissance de l’économie et celle des salaires réels sont restées atones (c’est du jargon économique, vous pouvez traduire « atones » par « faibles »). L’époque où la bourse et l’économie réelle étaient intimement liées ne semble plus être qu’un lointain souvenir.

L’effet secondaire de cette mise sous perfusion du circuit financier est le creusement des inégalités. Les personnes détentrices de titres financiers – les personnes les plus riches, donc – ont vu leurs revenus augmenter à la vitesse de leurs placements boursiers, là où les salaires réels, dont dépend la majorité des citoyen‧nes du monde, n’ont que très difficilement retrouvé leur niveau d’avant crise.

Pile je gagne, face tu perds

Outre l’augmentation des inégalités concomitante à la création monétaire, la structure du système financier mondialisé n’a pas été remise en cause. Si certaines réglementations ont été approuvées (les règles de Bâle III, par exemple), les demandes de changements structurels sont restées lettres mortes.

Un des grands enseignements de la crise de 2008 a été que les grandes banques étaient trop grandes pour faire faillite (‘too big to fail’), sous peine d’entraîner le reste du système financier avec elles (les banques dites systémiques). Pour éviter cela, la seule solution était un sauvetage avec de l’argent public, comme ce fut le cas en Belgique avec la banque Dexia (le contribuable belge s’en souvient).

En Europe, comme ailleurs dans le monde, les tentatives de pallier ce problème ont été aussi timides que parcellaires. Dans la pratique, les Etats sont toujours libres de sauver une banque nationale4. Tant qu’une séparation stricte des banques de dépôt et des banques d’investissement ne sera pas opérée, les risques systémiques que les banques universelles – celles qui regroupent dépôts et investissements – font peser sur l’économie réelle ne disparaîtront jamais totalement, gardant en otage citoyen‧nes et Etats.

De plus, l’Union bancaire Européenne, instituée en 2014, qui vise une supervision commune des banques et une résolution unique en cas de crise, demeure largement sous-équipée pour faire face à une nouvelle crise de grande ampleur. Le fonds de résolution unique, sorte de pot commun alimenté par les banques systémiques pour sauver l’une d’entre elles le cas échéant, est insuffisant que pour faire face à la faillite d’une grande de ces banques.

De même que la garantie européenne des dépôts (de moins de 100.000€), dont le financement plein et entier fait toujours défaut, compte tenu des réticences de plusieurs Etats-membres à mettre en commun l’argent de leurs contribuables.

La crise financière de 2008 avait suscité de minces espoirs d’un changement de paradigme. Douze ans plus tard, force est de constater que ce changement, pourtant nécessaire, est resté au placard. Les réformes se sont révélées être comme un emplâtre sur une jambe de bois. Pis, certains remèdes administrés n’ont fait que renforcer cette logique, pourtant à bout de souffle. Tant dans la lutte contre les inégalités que celle contre le dérèglement climatique, on peut bel et bien parler de décennie perdue.

Face à la crise qui s’annonce, il faudra ne pas répéter les mêmes erreurs que par le passé. Face à la crise qui s’annonce, sachons nous en souvenir.

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1. https://www.lavenir.net/cnt/dmf20200320_01459026/coronavirus-l-effort-federal-pour-les-mesures-socio-economiques-se-chiffre-a-pres-de-10-milliards

2. Pour une analyse plus détaillée, voir Olivier Derruine, La Revue Nouvelle, 13 mars 2020. https://www.revuenouvelle.be/Le-coronavirus-bouc-emissaire-d-un-krach-boursier

3. https://www.rtbf.be/info/societe/detail_financer-la-transition-ecologique-avec-une-banque-du-climat-et-en-prenant-sur-les-dividendes?id=10088073

4. Voir l’exemple italien à la fin de l’année 2016: https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/12/23/intervention-de-l-etat-italien-attendue-apres-l-echec-de-la-recapitalisation-de-la-monte-paschi_5053162_3214.html

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Lionel Legrand