Une chambre à soi ? [1] Le logement sous l’angle féministe

La Belgique accuse un manque criant de logements sociaux. Des efforts politiques sont menés mais cela reste globalement insuffisant.

Parmi les personnes les plus indécemment logées on trouve, sans surprise, les femmes.

Les femmes sont statistiquement plus à risque de se retrouver dans une situation socio-économique précarisée.

(les classes populaires, sur le plan économique, sont majoritairement des femmes et des personnes issues de l’immigration). Les phénomènes de plafond de verre et de plancher collant sont bien connus2. Les discriminations à l’emploi (double peine donc si on est une femme racisée) mènent à des mi-temps subis, ainsi qu’à des écarts salariaux à poste égal. De plus, la répartition genrée des fonctions fait que les femmes occupent la majorité des emplois dits du care, lesquels sont peu rétribués. Enfin, les familles monoparentales sont en écrasante majorité des femmes seules avec enfant(s). Ces familles sont nombreuses à vivre sous le seuil de pauvreté.

Ainsi paupérisées, les femmes se retrouvent ensuite discriminées sur le marché locatif: les logements sociaux adaptés aux familles avec enfants sont rares, les propriétaires sont réticents face à des ménages avec un seul salaire, allocataires sociaux… Couplons ces données à l’explosion du prix des loyers et l’absence de régularisation contraignante3 du marché locatif et une conséquence logique se dessine: les femmes – en tant que groupe et classe sociale – n’ont pas un accès égalitaire ni suffisamment digne au logement. Et les raisons en sont patriarcales4.

L’accès à un lieu de vie digne se pose également avec le vieillissement et/ou la maladie des femmes.

Les statistiques le disent encore, les femmes vivent en moyenne plus longtemps que leur compagnon masculin, elles ont donc plus de chances de vieillir seule ou en maison de repos. Les récents scandales touchant des structures d’accueil de seniors l’ont mis en lumière: faute de financements adéquats sous la logique du profit appliquée aux soins: ces lieux de vie n’en sont souvent pas, ils sont plutôt des lieux de mort, auxquels les femmes sont plus souvent exposées.

La maladie est également un facteur favorisant le fait de se retrouver seule et prise en charge par des structures collectives. En effet, si dans les couples hétéros, les femmes abandonnent souvent leur carrière pour s’occuper de leur conjoint souffrant, les hommes ont tendance à abandonner leur conjointe dont la santé a décliné.

Si les raisons de NE PAS vivre en couple sont nombreuses5, la nécessité fait souvent force de loi.

Je ne compte pas le nombre de témoignages de femmes incapables de quitter des situations toxiques voire dangereuses, faute de pouvoir se payer un logement… de payer pour leur liberté.

En tant que personne queer aroace6, je ne compte pas le nombre de fois où je me suis dis que mes chances d’occuper un jour un logement avec un espace extérieur ou de devenir propriétaire seraient fortement augmentées si je me faisais violence en niant qui je suis pour me retrouver plus facilement en ménage.

L’accès au logement à un prix décent est donc une question d’accès à une égale autonomie et de prévention des situations de violences pour les femmes et les personnes queer.

Les solutions d’habitats groupés ou de colocation existent et peuvent être des expériences enrichissantes et parfois même des lieux où réapprendre à faire communauté au-delà des liens familiaux classiques. Néanmoins, quelle part des colocataires le sont par choix véritable et non par nécessité ? Avoir un peu plus qu’une chambre à soi ne devrait pas être un luxe dont les conditions financières et l’âge d’accès reculent de plus en plus.

Enfin, quand bien même toutes les difficultés d’accès au logement seraient réglées, ça ne dit encore rien du rapport au foyer et des inégalités matérielles qui s’y jouent encore très souvent. Qui prend soin du foyer, le reproduit ? Qui s’y investit émotionnellement, esthétiquement pour le rendre proprement habitable ?

À noter d’ailleurs, qu’il s’agit d’une boucle de rétroaction négative: en contexte hétéropatriarcal, la charge maternelle et domestique vient renforcer les chances que les femmes occupent des postes à temps partiel, des emplois pénibles et/ou peu épanouissants, et/ou des contrats précaires. Si des avancées légales et réglementaires ont des effets bénéfiques, que d’autres sont attendues, l’enjeu du logement nous rappelle à quel point l’intime – l’intérieur- est politique.

___

1 Clin d’oeil à la célèbre œuvre de Virginia Wolf, « A Room of one’s own » (1929).

2 Le « plafond de verre » bloque l’avancement des carrières. Le « plancher collant » les retient dans les fonctions moins élevées et donc moins bien payées.

3 En 2021, une ordonnance « grilles de référence des loyers » a été adoptée après un travail de longue haleine de Zoé Génot au parlement bruxellois. Le principe de ce dispositif est de publier, par type de logements, des loyers de référence sur lesquels des locataires et des propriétaires pourront s’appuyer pour demander une révision du loyer auprès d’une commission paritaire locative. Toutefois, au moment de la fixation du prix du loyer, cette grille reste seulement indicative pour les propriétaires. Le/ la locataire doit donc contester, individuellement, en ayant surmonter tous les freins (administratif, linguistique, en termes de temps et de moyens pour les publics précarisés, rapport de force avec le propriétaire…).

4 Ainsi que racistes et hétéronormatives.

5 A titre d’exemple: Pour les femmes de 16 à 44 ans, la violence conjugale serait la principale cause de décès et d’invalidité avant le cancer, les accidents de la route et la guerre, selon des statistiques citées par un rapport du Conseil de l’Europe.

6 Le spectre aroace, est un groupe d’orientations qui relèvent toutes à la fois du spectre asexuel et du spectre aromatique. Les individus du spectre aroace se caractérisent par une absence plus ou moins forte (selon la position sur le spectre) d’attirance sexuelle et d’attirance romantique.

___

Cloé Devalckeneer