Gentrification verte

Vive les espaces verts urbains ! Selon ‘Coalition for Urban Transitions’, les villes occupent globalement à peu près 3% seulement de la terre.

Elles sont, par contre, responsables d’environ 75% des émissions carbone et de 70% de la consommation d’énergie. Force est de constater que pour lutter contre le changement climatique, les villes doivent être plus durables – et la création des espaces verts urbains en est un excellent outil. La récente pandémie a souligné la nécessité et l’importance des espaces verts en ville.

Les avantages des espaces verts urbains sont multiples tant sur le plan écologique (la réduction d’espace imperméable et de l’effet d’îlot de chaleur, l’amélioration de la qualité d’air, etc.), ainsi que social (l’amélioration des tissus sociaux) et économique (la création de nouveaux emplois). De plus, de nombreuses études démontrent l’existence de bénéfices non négligeables sur la santé physique et mentale des riverains.

L’effet pervers des espaces verts urbains: gentrification verte

Les quartiers populaires, généralement peuplés par des ménages à faibles revenus – et souvent constitués de personnes issues de l’immigration, se caractérisent par une absence plus élevée d’espaces verts, en comparaison avec les quartiers plus aisés. À juste titre, cette inégalité est de plus en plus reconnue comme un enjeu de justice environnementale et de santé publique. Pour y remédier, les projets de rénovation urbaine incluent de plus en plus un travail de verdissement des quartiers populaires.

Toutefois, l’effet pervers est que plus ces projets de verdissement réussissent, plus ils peuvent attirer des ménages et une vie commerciale aisés. Les projets destinés aux habitants défavorisés peuvent en effet entraîner une élévation des loyers et la transformation de la morphologie sociale du quartier. Malgré le réel besoin d’espaces verts dans les quartiers populaires – ce qui a encore été démontré récemment par CurieuzenAir, une recherche citoyenne sur la qualité de l’air à Bruxelles- le risque de « gentrification verte » ne peut pas être ignoré.

Répondre au besoin d’espaces verts dans les quartiers populaires en respectant la mixité sociale : Participation citoyenne, réaménagement « à petite échelle » et logements sociaux

Plusieurs récentes études américaines soulignent l’importance d’inclure les résidents du quartier dans les projets de verdissement afin d’empêcher – ou au moins de limiter – la gentrification verte et que les projets de verdissement reflètent ce dont les habitants ont réellement besoin. Les projets de verdissement des quartiers populaires peuvent en effet (in) consciemment viser d’autres objectifs que les besoins « verts » des résidents. Pensons par exemple à l’apparence du quartier, ainsi qu’à l’attrait pour des investisseurs et l’envie de cibler – dans une plus ou moindre grande mesure – un public différent. L’aménagement d’une esplanade verte dans un quartier populaire à l’endroit le moins densément peuplé, mais constitué de bureaux et d’une gare internationale – comme proposé par le projet CRU7 (sur le territoire ‘sud’ autour de la Gare de Midi à Saint-Gilles/ Anderlecht) – semble amener un plus grand risque de gentrification verte, qu’un verdissement conforme aux réels besoins des habitants du quartier. Ces derniers consistent bien plus que l’aménagement de petits espaces verts et aires de jeux aux endroits plus densément peuplés.

Les mêmes études suggèrent également l’importance de réaménager « à petite échelle » avec pour avantage de distribuer de manière plus égalitaire l’accès aux espaces verts et de permettre de réduire la spéculation immobilière. Les « grands » projets – comme le site de Tour & Taxis à Molenbeek – semblent en effet susciter un risque plus élevé de gentrification verte, en comparaison avec l’implantation d’arbres partout dans l’espace public ou la création de nombreux petits espaces verts à des endroits différents.

Afin de lutter au mieux contre la gentrification verte, ces mesures « spécifiques » devraient être accompagnées par des investissements dans des logements sociaux et ce en alignant bien la politique en matière de logement social aux projets de verdissements.

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En savoir plus ?

  • « Urban green space, public health, and environmental justice : the challenge of making cities ‘just green enough’ » (2014)
  • « We’re not in the business of housing: environmental gentrification and the nonprofitization of green infrastructure projects » (2018)
  • « The relationship between urban forests and race : a meta-analysis » (2018)
  • « Urban green equity on the ground: Practice-based models of green equity in three multicultural cities » (2019)
  • « Not by trees alone: Centuring community in urban forestry » (2022)

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Loes Salomez