Élections | Pour le climat, nous devons tout changer. Mais de quel « nous » parle-t-on ?

De jour en jour, les mobilisations pour le climat s’intensifient, reflétant une prise de conscience croissante de l’urgence climatique

Aujourd’hui, cela ne fait nul doute : au rythme auquel nous émettons des gaz à effet de serre, nous sommes en train de foncer droit dans le mur. Nous avons brûlé trop d’énergies fossiles, nous avons coupé trop d’arbres, et nous avons trop poussé à la consommation. Nous devons changer de façon radicale. Mais de quel « nous » parle-t-on, au juste ?

Parle-t-on de l’humanité ?

C’est ce que défendent les anthropocénistes. L’anthropocène1 (l’ère de l’humain), serait la nouvelle ère géologique dans laquelle nous vivons, marquant la fin de l’holocène2. Depuis la révolution industrielle, notre espèce aurait eu un impact si important sur le réchauffement climatique de la Terre, qu’elle a provoqué une nouvelle ère géologique.

Selon le concept de l’anthropocène, c’est donc l’espèce humaine, de façon globale, qui est à pointer du doigt pour le changement climatique et ses conséquences désastreuses. Or, selon Andreas Malm, professeur d’écologie humaine à l’université de Lund, en Suède, cette catégorisation est inexacte. En effet, en mettant la responsabilité de l’anthropocène sur l’espèce humaine dans son ensemble, le rôle des premiers responsables du changement climatique est complètement occulté : il s’agit d’abord de puissants hommes blancs capitalistes, qui dominent et stimulent l’extraction et l’utilisation des énergies fossiles. Représentent-ils à eux seuls l’espèce humaine ? C’est contestable.

Au-delà de la question de l’occultation du capitalisme, le concept même de l’anthropocène est ethnocentriste d’un point de vue occidental. Historiquement, les occidentaux (ou plus précisément, de riches hommes blancs) ont été les principaux responsables du changement climatique. Les personnes racisées, non blanches (qui représentent la majorité de l’espèce humaine), et surtout celles d’Afrique subsaharienne3, n’ont joué qu’un rôle très secondaire et subordonné dans cette affaire.

Les blancs représenteraient-ils toute l’humanité ?

Mettre tou·te·s les humain·e·s dans le même bateau, comme l’exige l’anthropocène, c’est soit de l’ethnocentrisme, soit de la malhonnêteté intellectuelle. Soit l’anthropocène considère les personnes racisées comme étant tout autant responsable du changement climatique, ce qui est complètement faux. Soit, l’anthropocène exclut les personnes racisées (et en particulier, les noires) de l’espèce humaine, considérant que les blancs suffisent à représenter toute l’espèce.

Le concept d’anthropocène pèche donc par deux points : son occultation du capitalisme, et son ethnocentrisme.

Tou·te·s les humain·e·s ne portent certainement pas la même responsabilité quant au changement climatique

S’il est de la faute de tout le monde, il n’est de la faute de personne. Or, il y a bel et bien certains êtres humains qui en sont responsables.

La prochaine fois que vous dites « nous » en référence à la destruction de la planète, précisez bien de quel « nous » vous parlez

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1 « La plupart des scientifiques sont d’accord pour dire que les humains ont contribué au réchauffement climatique de la Terre depuis la révolution industrielle. Certains prétendent même que nous vivons dans une nouvelle ère géologique, l’ère anthropocène. » – Nature, le 12 février 2004, cité par Merriam-Webster [en ligne], consulté le 13/04/2019.

2 « L’Holocène est une période de transition entre le Pléistocène et les Temps actuels, qui débuta il y a 10 000 ans avec la fin de la dernière glaciation (Würm-Wisconsin) à laquelle succéda un réchauffement progressif. » Michèle Julien, « HOLOCÈNE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 14/04/2019.

3 L’Afrique est par ailleurs considérée par l’ONU comme étant le continent « le plus vulnérable face au changement climatique », alors qu’elle y contribue le moins.

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Jérémy Herry