Les pro-européen.ne.s contre les eurosceptiques, le faux débat

Partout en Europe, les partis traditionnels perdent des plumes au profit d’alternatives diverses et variées. Cette tendance de fond n’épargne aucun pays et s’inscrit dans une logique de dépassement du clivage gauche-droite.

Mais les élections à venir ne se résument pas au combat des gentil·e·s pro-européen·ne·s face aux méchant·e·s eurosceptiques.

Deux enseignements cruciaux ressortent de ces premières estimations pour les élections européennes du 26 mai prochain: la déconfiture des partis traditionnels et l’inexorable montée de l’extrême droite.

En effet, les deux formations principales du Parlement – le Parti Populaire Européen (PPE) et l’Alliance progressiste des Socialistes et Démocrates (S&D) – perdraient un nombre considérable de sièges. Sur les 705 sièges à pourvoir, la droite européenne passerait de 217 à 183 sièges en mai prochain. Les socialistes, quant à elleux, perdraient la bagatelle de 51 sièges, s’établissant à 135 sièges contre 186 sièges actuellement.

Par ailleurs, le groupe d’extrême droite ENL (Europe des Nations et Libertés) passerait de 41 député·e·s à l’heure actuelle à 59, devenant le 4ème groupe politique au Parlement.

Néanmoins, la marée eurosceptique, composée de l’extrême droite et de la droite conservatrice, ne devrait pas chambouler en profondeur l’actuelle répartition du Parlement.

Dépasser le clivage gauche-droite

Toujours est-il que ces premières projections semblent confirmer l’usure du traditionnel clivage gauche-droite, se substituant à un nouveau clivage, le clivage ouvert-fermé.

Le magazine The Economist titrait en 2016 «The new political divide; Farewell, left versus right. The contest that matters now is open against closed», prophétisant l’émergence de cette nouvelle ligne de fracture idéologique. Aux globalistes favorables au libre marché et au multiculturalisme s’opposeraient les nationalistes identitaires, hostiles à l’immigration et au libre-échange.

Et c’est précisément dans cette optique que la campagne pour les élections européennes s’inscrit. Début mars, le Président français Emmanuel Macron s’est fendu d’une tribune appelant à une renaissance européenne. Macron entend ainsi se dresser en champion des forces pro-européennes, ouvertes sur le monde, face aux nationalistes. Il fait en fait écho à la rencontre à Varsovie le 9 janvier dernier entre Matteo Salvini et le chef du gouvernement polonais Jarosław Kaczyński. Les deux hommes y avaient dévoilé leur pacte pour l’Europe, salué au passage par Viktor Orbán, appelant à un nouveau printemps européen. Un pacte rassemblant l’extrême droite et la droite conservatrice basé sur la tolérance zéro en matière d’immigration.

Outre la similitude de langage entre la renaissance des un·e·s et le printemps des autres, tout semble opposer les supporter·rice·s d’Emmanuel Macron et celleux de Matteo Salvini. Pourtant, à y regarder de plus près, ce nouveau fossé politique est simpliste et réducteur. Ce choc frontal cache une réalité tout autre : ces deux forces faussement antagonistes sont les faces d’une seule et même pièce.

Les nouvelles lignes de fracture

Les politiques menées par les partis traditionnels de gauche et de droite – dont Emmanuel Macron et son parti constituent la synthèse, et non l’antithèse – sont celles qui alimentent la colère d’une partie de la population, marginalisée par le consensus politique, celui du there is no alternative.

Pourtant, le repli national-populiste incarné par Salvini et ses allié·e·s n’est pas le contraire de ce consensus politique, mais plutôt son prolongement. Comme brillamment explicité par Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11, la démocratie libérale est malade de la mondialisation néolibérale, qu’elle a elle-même contribué à créer. D’autres intellectuel·le·s formulent la même intuition comme l’éminent économiste Bruno Colmant qui, dans la même logique, déclarait qu’« au motif d’être la négation du capitalisme, le populisme en serait l’aboutissement funeste ».

Dans cette optique, l’alternative populiste n’est pas la négation de la mondialisation néolibérale mais plutôt son produit. En fait, chacun a besoin de l’autre pour exister. Emmanuel Macron et ses supporter·rice·s ont besoin du danger populiste pour prospérer électoralement, tout comme Matteo Salvini et ses allié·e·s existent à travers l’establishment qu’iels prétendent combattre.

Néanmoins, le nouveau clivage ouvert-fermé ne doit pas éclipser le clivage gauche-droite – qui reste pertinent – mais bien le compléter. Mais à ces deux clivages, il est nécessaire d’en avoir un troisième en tête : le clivage entre écologistes et environnementalistes, pour reprendre les termes de Jonathan Piron, conseiller à la prospective chez ETOPIA.

En cette période pré-électorale, tous les partis, sans doute poussés par les manifestations pour le climat, se mettent au vert. Dans sa tribune, le Président français entend « prendre la tête du combat écologique ». Mais ne soyons pas dupes. Les quelques mesures proposées par les environnementalistes ne s’attaquent pas fondamentalement à la source du réchauffement climatique – nos modes de production et de consommation. Iels n’entendent pas remettre en cause l’impératif de croissance économique, qui guide à l’heure actuelle toutes les actions politiques.

Au contraire des écologistes qui, en adoptant une posture systémique, appellent à dépasser cette utopie du passé, celle de la croissance infinie dans un monde aux ressources finies.

Pour combattre l’ignoble alternative nationaliste, il ne faut pas plus de cette Europe. Il lui faut une véritable alternative, une alternative plus juste, plus démocratique, fondamentalement écologiste. Ainsi, le vrai débat des élections à venir est celui entre l’écologisme et la mondialisation néolibérale ou son prolongement, le national-populisme.

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Sources

http://www.europarl.europa.eu/news/en/press-room/elections-press-kit/5/projections-of-seats-of-next-parliament

https://www.politico.eu/interactive/european-elections-2019-poll-of-polls/

https://plus.lesoir.be/207374/article/2019-02-18/elections-europeennes-le-parlement-echapperait-au-tsunami-populiste

https://www.economist.com/leaders/2016/07/30/the-new-political-divide

https://www.theguardian.com/politics/audio/2018/mar/07/open-v-closed-the-new-political-divide-politics-weekly-podcast

https://www.lecho.be/opinions/carte-blanche/le-populisme-cet-enfant-mal-ne-d-un-capitalisme-non-tempere/10020126.html?fbclid=IwAR0aGFFSAo2__unePPwItp5UuWmZ-sPQbuHhyoNwHApNTNzvqHd5yY9sXAg

https://www.cncd.be/La-democratie-liberale-victime-de

https://www.levif.be/actualite/belgique/cessons-l-environnementalisme-faisons-de-l-ecologie/article-opinion-1093441.html

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Lionel Legrand