L’Algérie, une jeunesse qui veut du changement

Pour un·e étranger·e ne connaissant pas le sentiment qui anime la population, il est difficile de comprendre la situation actuelle en Algérie…

L’Algérie est indépendante depuis bientôt 60 ans et le traumatisme est toujours bien ancré dans les mémoires

En 60 ans, ce pays qui regorge de ressources naturelles mais également d’une énorme superficie agricole a connu plusieurs coups d’état et l’économie du pays est essentiellement basée sur le pétrole et le gaz.

L’Algérie, c’est également tous les hommes de l’ombre comme le président, Abdelaziz Bouteflika, qui fait partie des gouvernements depuis l’indépendance, d’abord en tant que ministre puis ensuite en tant que conseiller 3 ans plus tard lorsqu’il suit le colonel Boumédiène dans son coup d’état contre le président Ben Bella. Mais à la mort de celui-ci en 1978, A. Bouteflika est écarté par les militaires pour détournement de fonds publics et s’exile à l’étranger. Le pays à ce moment, tend de plus en plus vers le socialisme aidé par l’URSS avec un système de parti unique jusqu’en 1989 mais après la mort de Boumédiène, une démocratisation du pays s’opère et s’en suit d’importants mouvements de protestation qui finissent en guerre civile qui oppose l’armée ainsi que les civil·e·s aux islamistes. Durant cette période appelée décennie noire, des milliers d’Algérien·ne·s décédèrent. En 1999, A. Bouteflika est rappelé au pays et est élu président avec la mission de rétablir la paix. Les mandats s’enchaînent puis vient le printemps arabe. Les jeunes à l’époque voulaient lancer quelque chose mais le pouvoir bloque l’Internet et les réseaux GSM, les gens se trouvent face à deux fois plus de policier·e·s que de manifestant·e·s, la police fait de la répression aux sit-in et l’espoir d’un printemps arabe disparaît.

Par la suite, en 2013, victime d’un AVC, son frère sort de l’ombre et l’accompagne mais A. Bouteflika ne participe pas à la campagne présidentielle et ne communique plus que par courrier. Les seules apparitions sont celles de ses portraits, comme on peut le voir en Corée du nord. Durant les trois dernières années, quatre premiers ministres se sont succédés, limogés les uns après les autres, afin qu’ils n’acquièrent pas une notoriété plus importante que celle du président et dans la foulée, une révision des règles d’éligibilité a eu lieu : un binational ou toute personne ayant passé plus de 10 ans hors du pays ne peut plus prétendre à être candidat présidentiel.

Les jeunes de ma génération ont grandi dans ce climat

Un climat de peur rempli de couvre feux, barrages, corruption, répressions, contrôles de police, coupures de réseau cellulaire mais aussi attentats, massacres, faux barrages … je me souviens encore de mon cousin qui me disait: « si tu vois un militaire en basket, tu cours aussi vite que tu peux ! »
Le climat social n’est pas mieux parce que les jeunes sont frappé·e·s par le chômage, la pauvreté, la crise du logement. En absence de sécurité sociale, chaque famille a dû compter sur la solidarité des enfants pour s’occuper des leurs. Il faut savoir que plus de 50% des Algérien·ne·s ont moins de 35 ans, mais qui s’occupe des jeunes ?

Le gouvernement en place a offert des « prêts » non remboursables, des logements sociaux « sans loyer » et bien plus encore, en utilisant l’argent provenant du pétrole. C’est ainsi qu’il est réélu car les gens qui en profitent, votent pour lui en 2014 afin que le système continue … mais à ce moment-là, les jeunes ont commencé à réfléchir et j’ai senti chez mes cousin-e-s mais aussi chez d’autres Algérien·ne·s que ce tabou était brisé, que l’on commençait à envisager un avenir sans le clan Bouteflika. Ce sont les jeunes de la diaspora, humilié·e·s par ce que leur pays était devenu, qui ont commencé à décrier le président.

Que se soit en Belgique ou en Algérie le phénomène est le même

Un·e primo-votant·e ne connaît pas le système politique ou les projets qui en découlent et donc vote bien souvent comme ses proches.

En Algérie, l’image internationale du président a fait en sorte que les jeunes perdent la confiance en les capacités du président. Apparaissent ensuite partout en Europe, les manifs climat qui font des émules : en Algérie, des jeunes se disent : « pourquoi pas demander du changement en s’exprimant dans la rue ? »

Les jeunes algérien‧ne‧s, ayant peur de la répression qui avait eu lieu lors des précédentes tentatives de contestation lors du printemps arabe sortent aujourd’hui dans les rues pacifiquement et ce depuis 6 semaines et en surfant sur Internet, s’inspirent de ce qui se fait ailleurs dans le monde, l’Algérie étant un pays qui n’a quasiment jamais connu de manifestation.

Dès le début de la contestation, le président annonce ne pas vouloir occuper la totalité du mandat mais qu’il faut une transition

Cela embrase la contestation : tout le monde sort dans la rue en scandant son refus du 5ème mandat. Les jours passent et la contestation ne faiblit pas, les jeunes maintiennent la pression mais avec la peur que la violence arrive et que cela ne finisse dans le sang.

Le 11 mars, le président annonce ne plus se représenter mais reporte l’élection à une date ultérieure durant la mise en place d’une conférence nationale pour organiser le futur de l’Algérie, ce qui n’est pas bien pris par les jeunes manifestant·e·s. Ces deux dernières semaines, le président est remis en cause par plusieurs personnalités dont le général Gaid Salah, personnage-clé du pouvoir qui demande la destitution du président. Au terme d’une pression insoutenable pour le clan Bouteflika, le président a pris la décision le 2 avril de démissionner.

Une chose est certaine, c’est que le régime et les personnes qui ont participé à celui-ci n’ont plus leur place en Algérie parce qu’iels ont volé l’avenir d’une génération. L’armée ne doit pas prendre le pouvoir et le peuple aura besoin de tous ses talents qui se sont exilés pour construire une Algérie prête à relever les défis de demain.

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Mehdi Bouacida