Ecolo, la tentation du pouvoir et les attentes de la jeunesse

Douze ans qu’il nous reste. Douze ans, affirme le GIEC ! C’est, je crois, avec beaucoup d’inquiétude et de défiance que la jeunesse consciente appréhende l’avenir.

Les braises de l’espérance ne sont toutefois pas éteintes.

Au contraire, leur feu a même été ravivé par les récentes mobilisations citoyennes, et en ce qui concerne la Belgique, par la percée inédite et assez extraordinaire que les sondages prédisent à Ecolo pour les élections du 26 mai prochain. Mais ces présages constituent-ils une garantie que la révolution écologique et sociale tant attendue serait enfin arrivée ? À nous les jours heureux ?

Si à l’angoisse succède l’espoir, à celui-ci succède la prudence

Le commentaire médiatique est récurrent : « Ecolo est fort dans l’opposition, mais déçoit au pouvoir et finit à chaque fois sanctionné aux élections suivantes ». Le cliché de l’écologiste rêveur·se et inapte a la peau dure. Autant de critiques qui sonnent comme des mises en garde aux oreilles de celles et ceux qui se préparent à une vie de combat. Il serait parfaitement dramatique que se réalise ce que les médisant·e·s nous prophétisent. De fait, cela discréditerait non seulement Ecolo, mais plus largement l’écologie politique aux yeux de la population. Au regard des enjeux, on peut donc s’inquiéter de la suffisance dans laquelle certain·e·s pourraient se laisser tenter à s’installer. Car, si les forces progressistes échouent dans la décennie qui arrive, c’est le monde qui menace de brûler sous nos yeux.

Mais d’où proviennent ces critiques ?

Au risque d’abuser de métaphores incandescentes, disons qu’il n’y a sans doute pas de fumée sans feu. Paul Lannoye – ancien membre fondateur d’Ecolo qui finit par quitter le parti en 2004 – adressait il y a peu dans le magazine Wilfried une critique acerbe à une partie de la génération actuellement à la tête d’Ecolo. Il l’accusait de chercher absolument à monter au pouvoir, et d’ainsi vouloir rester copains avec tout le monde pour ne pas compromettre son exercice. Selon lui, elle manquerait de vision à long terme et d’ambition de changement fondamental du système socio-économique, lui préférant des améliorations localisées.

À supposer que ces critiques reposent sur une part de vérité et dans la mesure où les élu·e·s écologistes sont sincères dans leur engagement, ce dont on a à priori pas de raison de douter, il faut cependant leur reconnaitre la difficulté de concilier la réalité pratique de la gestion des affaires avec les attentes d’une société civile qui rêve d’un monde meilleur. De cette manière, il se peut qu’il y ait une déconnexion importante entre, d’une part, le législateur ayant engagé énormément de temps et d’énergie dans son travail législatif et ayant le sentiment d’avoir avancé énormément sur ses dossiers et, d’autre part, le ou la citoyen·ne moyen·ne pour qui ces réformes n’auront qu’un impact marginal. On ne peut également nier les pressions imposées par la superstructure (médias, institutions, particratie, lobbying etc.) qui sont propices à la révision à la baisse des ambitions sociales et climatiques.

Néanmoins, les difficultés de la gestion du pouvoir ne peuvent servir de prétexte pour justifier un « réalisme » mal placé à l’instar de celui qui gangrène les partis traditionnels, maquille les défaites et empêche tout progrès social depuis des décennies.

De fait, l’échec politique risque d’être garanti si la montée au pouvoir n’est pas suivie d’avancées sociales et environnementales clairement perceptibles dans le quotidien des citoyen·ne·s. Ceci est d’autant plus vrai vu la méfiance que les écologistes suscitent parmi certains milieux sociaux, notamment les ouvrier·e·s ou les agriculteur·rice·s. La haine anti-Ecolo que l’on peut trouver dans les groupes Facebook de « gilets jaunes » est quelque chose qui, d’emblée, parait incompréhensible pour les militant·e·s qui connaissent les ambitions sociales du parti.

Seules des mesures radicales et des troupes aguerries pour les mettre en œuvre sont capables d’inverser la vapeur

C’est la raison pour laquelle écolo j assume et revendique sa radicalité. Cette radicalité qu’on observe assez largement chez les jeunes d’aujourd’hui n’est pas (seulement) le produit de la fougue de l’âge. C’est surtout le résultat du constat limpide d’une génération désillusionnée, pour qui les améliorations par petits pas sont devenues dépassées et qui veut s’unir sous la maxime : fin du monde, fin du mois, même coupables, même combat.

Mais par-dessus tout, il faut un rapport de force favorable. C’est cela qui fait la différence entre un partenaire d’appoint qui n’obtient que quelques concessions insuffisantes plutôt que d’être vraiment le moteur d’un gouvernement.

Ainsi, si monter au pouvoir dans les régions peut être un choix gagnant, on voit difficilement comment ce pourrait être également le cas au niveau fédéral si cela se fait dans une coalition avec au moins un des partis de la majorité actuelle, un scénario inverse étant peu probable d’après les projections.

De plus, quand bien même Ecolo se retrouverait dans une position avantageuse sur le plan politique, cela ne saurait suffire. Pour perdurer, le rapport de force doit aussi être citoyen, ancré sur le terrain, notamment dans les corps intermédiaires. Personne ne niera que ce qui a fait peser la « loi climat » dans l’agenda, ce n’est pas un·e député·e Ecolo en plus ou en moins, mais la mobilisation citoyenne.

Le paradigme néolibéral amène toutes les tensions qui parcourent les sociétés à leur paroxysme

Lorsque le point de rupture est atteint, les seuls choix d’alternative qui se vérifient partout dans le monde pour le remplacer est, ou bien celui d’une droite réactionnaire, xénophobe et autoritaire ; ou bien celle du progressisme radical qui émerge sous des formes différentes avec Podemos en Espagne, Bernie Sanders aux États-Unis ou Jérémy Corbyn en Grande-Bretagne. On ne peut envisager que l’ordre actuel soit remplacé par autre chose qu’un paradigme écologique et social. Nous n’avons pas le droit à l’erreur.

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Rayan KD