Chère madame Demir, ces derniers jours, vous faites la une de l’actualité.
Issue d’une famille modeste, vous avez gravi les échelons un à un pour aujourd’hui devenir secrétaire d’État à la Lutte contre la pauvreté, à l’Égalité des chances, aux Personnes handicapées et à la Politique scientifique. Je voudrais commencer par vous dire mon admiration devant un tel itinéraire. Vous vous en doutez bien cependant, l’objectif premier de cette lettre n’est pas seulement de vous féliciter, mais aussi et surtout de vous mettre face à vos nouvelles responsabilités.
Bart de Wever et vous-même l’avez clamé haut et fort dans la presse : vous, Zuhal Demir, êtes l’exemple parfait d’une femme d’origine immigrée et « issue de la cité de Genk » qui a saisi les chances que lui a offertes la Belgique. Ou peut-être plutôt la Flandre, à en croire Bart De Wever à l’antenne de la Première ce vendredi matin. Lors de votre conférence de presse, vous n’avez d’ailleurs pas manqué d’ajouter que les personnes issues de milieux défavorisés ne devraient pas se complaire dans le rôle de la victime. Je suis moi-même un Schaerbeekois pure souche, privilégié, mais bien placé pour savoir que tou.te.s les jeunes de mon quartier ne connaitront pas le même sort que vous. J’en côtoie au quotidien, des jeunes hommes et des jeunes femmes bruxellois.e.s né.e.s dans un contexte extrêmement difficile et qui, pourtant, mènent leur barque au moins aussi bien que moi, si pas mieux. Tous ne s’en sortent cependant pas, et bien loin de moi l’idée de le leur reprocher. D’accord, la discrimination n’est pas toujours la seule raison d’un éventuel échec, mais elle joue encore bien trop souvent. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai tant voulu m’engager en politique : je rêve d’un monde où tous les Schaerbeekois.es, tous les Bruxellois.es et tous les citoyen.ne.s du pays naîtraient dans les mêmes conditions et avec les mêmes perspectives d’avenir.
En tant que jeune intéressé par la politique, vous n’êtes forcément pas une inconnue pour moi. Représentante de l’aile droite de votre parti au même titre que Theo Francken, vous êtes sans aucun doute la relève de la N-VA. Plus virulente et impulsive que les pères fondateurs du parti, cette génération n’est jamais avare en commentaires assassins. Pour ne citer que quelques exemples, vous plaidez depuis longtemps pour la suppression des allocations de chômage dans le temps et vous avez déclaré être effrayée par l’arrivée de tous ces musulmans en Belgique, « incapables de s’adapter aux normes et aux valeurs de notre pays ». Pas forcément des déclarations que l’on est en droit d’attendre d’une personne qui reprend aujourd’hui la compétence de l’Égalité des chances au niveau fédéral. Ce sont toujours les mêmes que vous avez en point de mire, madame Demir. Ne serait-il pas utile que cela change ?
Dans votre nouveau statut de Secrétaire d’État, votre rôle ne sera plus de tirer sur tout ce qui bouge pour faire rugir de plaisir vos électeurs, mais plutôt de travailler à trouver des solutions pour améliorer la vie de tous les habitant.e.s de ce pays. Du moins, en théorie. J’espère que vous n’oublierez pas non plus de donner de votre temps et de votre énergie pour les deux autres principales compétences qui viennent de vous être octroyées : les personnes handicapées et la politique scientifique. Dans le premier domaine, votre prédécesseure, Elke Sleurs, a immédiatement montré son mépris envers les personnes handicapées en ne daignant même pas traduire en français correct sa note de politique générale. Dans le deuxième, madame Sleurs s’en est donné à cœur joie pour démembrer et fragiliser en silence de grandes institutions scientifiques du pays ainsi que Belspo, l’administration de référence dans le domaine. Des manœuvres qui s’inscrivent sans aucun doute dans la continuité de l’agenda communautaire à peine dissimulé de votre parti. Ayez également la présence d’esprit de renoncer dès maintenant à la tête de liste N-VA à Genk en 2018. C’est d’ailleurs pour reprendre le flambeau lâché par monsieur Bracke à Gand que votre prédécesseure vous a laissé les clés de son cabinet.
Vous avez réclamé quelques semaines pour vous plonger dans les dossiers de madame Elke Sleurs. Je peux le comprendre, même si son bilan est très pauvre et qu’il ne prendra certainement pas deux semaines à analyser. Quel ne fut donc pas mon étonnement de vous voir, dès ce samedi dans la presse et ce dimanche sur les plateaux de télévision, poursuivre l’attaque en règle de la N-VA envers Unia, l’ancien Centre pour l’Égalité des chances, lancée par vos collègues Joachim Pohlmann et Liesbeth Homans, ministre flamande de l’Égalité des chances. Les citoyen.ne.s de ce pays sont en droit d’attendre plus de travail et moins de discours dont l’unique but est de vous définir à tout prix suffisamment à droite pour les indécis et déçus du Vlaams Belang.
Vu l’éclatement des compétences totalement incohérent dans vos domaines de travail, je suis bien conscient que vous ne disposez pas de tous les leviers nécessaires. Permettez-moi tout de même de vous proposer plusieurs pistes, presque gratuites et immédiatement applicables : l’instauration de mystery calls1, de contrôles en conditions réelles et de l’anonymisation des CV pour débusquer les entreprises qui se rendent coupables de discrimination ainsi que la mise en place de quotas, dans les entreprises cotées en bourse comme dans les gouvernements du pays. Ces mesures ne résoudraient pas les problèmes de fond, mais elles formeraient déjà un remède efficace contre des symptômes de différentes formes de discrimination bien réelles.
Malheureusement, votre parti et vous-même vous êtes opposés avec force à l’instauration de quotas et aux mystery calls alors même qu’une enquête du Minderhedenforum (« Forum des Minorités ») a démontré que, sur 251 entreprises de titres-services en Flandre, 165 ont accepté de mettre à disposition du faux client des technicien.ne.s de surface qui ne sont pas d’origine étrangère. Si les mystery calls vous semblent tronqués par une soi-disant « invitation à discriminer », vous pourriez déjà commencer par des tests en condition réelle, sans une telle « incitation ». En d’autres termes, un.e fonctionnaire pourrait se faire passer tout à tour pour une personne (d’origine) étrangère puis pour un.e Belge « pure souche » et constater les différences de traitement avant de prendre des sanctions le cas échéant. Dans une étude à ce sujet, des chercheurs de l’Université de Gand ont utilisé une telle méthodologie et les résultats ne trompent pas : dans une première phase, 26% des agent.e.s immobiliers soumis à un tel test se sont rendus coupables de discrimination. Quelques jours plus tard, la ville de Gand leur a envoyé une lettre pour leur annoncer qu’ils et elles avaient fait l’objet d’une étude scientifique sur le sujet et pour leur rappeler qu’une telle discrimination est illégale. Les chercheurs de l’Université de Gand ont alors réitéré l’expérience, et « seuls » 10% de ces agent.e.s immobiliers ont persisté dans leur discrimination. Pour la N-VA, le travail est par ailleurs la meilleure manière de sortir des milieux précarisés. Il est temps donc de s’attaquer également aux discriminations sur le marché du travail, dans ce cas. J’espère de tout mon cœur que ces quelques semaines vous feront ouvrir les yeux.
Je vous souhaite beaucoup de courage madame Demir. Vous avez beaucoup de pain sur la planche. N’oubliez pas que ce n’est pas le cas de tout le monde.
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Lucas Bernaerts, membre du Bureau d’écolo j
1Les mystery calls se rapprochent très fort des clients mystères.
Des fonctionnaires seraient chargés d’appeler des entreprises
avec une demande discriminatoire
pour voir la façon de réagir de l’entreprise.
En cas d’infraction, ils pourraient servir de preuve en justice.