Si la pension se mangeait

Jusqu’il y a peu, la question des pensions me paraissait être un sujet complexe et barbant dont je n’avais pas à me tracasser

Honnêtement, j’avais très peu confiance en l’idée que je pourrais moi-même en bénéficier, vu la manière dont l’État semble démanteler ce pilier de la sécurité sociale.

Pourtant, il y a quelques semaines, mon banquier a tenté de me convaincre de « cotiser » pour une épargne-pension. Cela m’a tout de suite énervée, je n’ai pas compris pourquoi. Maintenant je sais, et je vais tenter de vous expliquer ce qui m’a mise en colère.

Le système des piliers, ou l’assiette de spaghettis

Aujourd’hui, en Belgique, les pensions répondent à un système de piliers.  Mais bon, personnellement, je préfère imaginer ça comme un bon plat de spaghettis.

Dans mon assiette, tout d’abord, il y a les pâtes. C’est le premier pilier, la pension légale. Celle-ci repose sur la sécurité sociale et est donc financée via les cotisations des travailleurs·euses et des employeurs·euses. Elle est proportionnelle au nombre d’années durant lesquelles on a cotisé et à nos revenus. On parle d’un système de répartition, comme l’explique Ermelinde Malcotte : « Nous n’épargnons pas pour notre pension future mais nous payons les pensions de celles et ceux qui sont actuellement à la retraite. Ce mécanisme repose donc sur la solidarité intra et intergénérationnelle »1. C’est le seul pilier qui est obligatoire et donc assuré pour toutes et tous (ou presque). La pension légale est donc indispensable – qui ferait des spaghettis sans spaghettis – et elle doit être suffisante et digne.

Une fois mon assiette remplie de pâtes, je peux y ajouter la sauce : des légumes, de la passata, et si j’ai un peu de chance, du haché (végétarien ou non, là n’est pas la question). Cette fameuse sauce, c’est le deuxième pilier, l’épargne qui passe par l’entreprise, le secteur ou le groupe professionnel. Celle-ci est financée par l’employeur·euse et par le/la salarié·e via une retenue sur salaire. On parle notamment de fonds de pension et d’assurance-groupe. Ici, tout le monde n’est pas logé·e à la même enseigne. Les plus hauts salaires pourront obtenir une couverture maximale alors que certains emplois n’y auront même pas droit. C’est notamment le cas du secteur non marchand et de la majeure partie des ouvrier·e·s2. Cette disparité se marque également très fort dans une perspective genrée puisque la pension complémentaire des femmes est moins élevée de 47% par rapport à celle des hommes3.

Il nous reste donc le troisième pilier, le fromage. Il s’agit de l’épargne individuelle, comme l’épargne pension que mon gentil banquier me proposait. Toute personne entre 18 et 64 ans, qui en a les moyens bien-sûr, peut compléter sa future pension grâce à de l’épargne individuelle via une banque ou un organisme d’assurance. Tout comme le deuxième pilier, on est ici dans un système de capitalisation et plus de répartition. Chacun·e cotise pour lui/elle-même. Et à nouveau, tout le monde n’a pas le droit d’avoir du fromage sur ses pâtes.

Tout le monde n’a pas la même assiette

Ce qui m’ennuie profondément dans ce système, c’est que tout le monde n’a pas le droit de manger à sa faim et que certain·e·s doivent se contenter de pâtes natures quand d’autres s’offrent une sauce aux truffes et le fromage le plus luxueux. En 2019, les trois quarts de la population active bénéficiaient d’une épargne pension mais la répartition de cette épargne était extrêmement inégalitaire. Les 1% les mieux loti·e·s ont ainsi pu bénéficier de 20% du montant total des pensions complémentaire alors que 70% n’ont perçu ensemble que 10% de celui-ci4.

Mais ce qui m’inquiète encore plus, c’est que les mesures qui sont en train d’être prises concernant les pensions visent à maintenir une pension légale de base faible, tout en incitant les individus à se constituer une pension décente via les compléments de pension.

Comment on affame notre système de solidarité !

Aujourd’hui, nous nous trouvons donc dans une situation où les deux derniers piliers sont en train de ronger le premier. En offrant des faibles taxations sur les épargnes pensions au niveau des entreprises (avantages fiscaux) et en n’imposant pas de cotisations sociales sur la partie du salaire finançant l’épargne pension (avantages sociaux), l’état pousse les travailleurs·euses à privilégier une contribution à des pensions complémentaires plutôt qu’une augmentation salariale, se privant ainsi de nombreuses rentrées d’argent pour son fonctionnement et celui de la sécurité sociale.

Il en est de même pour les épargnes pensions du 3e pilier. Ceux et celles qui investissent une partie de leurs revenus dans ces produits bancaires, bénéficient actuellement d’une réduction d’impôts de 30% à 25% selon le montant annuel investi.

Si on décidait de supprimer ces avantages fiscaux et sociaux, on pourrait réinvestir ces recettes perdues dans le premier pilier. On pourrait reconstruire un système de pensions plus fort et plus égalitaire. Bien sûr il n’est pas question de ne plus ajouter de sauce ou de fromage à nos spaghettis, juste de pouvoir permettre à chacun·e d’avoir assez dans son assiette. Et de s’assurer qu’on ne se débarrassera pas des pâtes sous prétexte qu’on peut se satisfaire de sauce et de fromage !

Sur ce, bon appétit !

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  1. « Pensions : pourquoi les femmes sont-elles plus pénalisées ? », Femmes Plurielles, Mars 2019
  2. Safuta Anna, « Nos pensions, leurs réformes : répercussions sur les femmes », 2018, Femmes Prévoyantes Socialistes : https://www.femmesprevoyantes.be/2018/12/20/etude-2018-reformes-pensions/
  3. FGTB, Baromètre 2018 https://www.fgtb.be/documents/20702/313803/Barom%C3%A8tre+2018/aef9a27e-bee6-4b1c-acb0-6aa0d6c63cfc
  4. Chiffres de la Cour des Comptes relayés par l’article de l’Echo « Les pensions complémentaires, source d’inégalités », consulté le 18 février 2021 sur https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/economie/les-pensions-complementaires-source-d-inegalites/10271132.html

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Marie-Anaïs Simon