Pas de démocratie sans citoyens

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Le sacro-saint devoir électoral ?

Actuellement, beaucoup considèrent comme l’expression la plus aboutie de leur citoyenneté, l’accomplissement tous les 4-5 ans de leur « devoir électoral ». Pourtant, cette vision de la citoyenneté est pour le moins restrictive et, heureusement, d’autres visions existent et refont surface.

Trois modèles de démocratie

La vision d’un citoyen qui ne fait que voter, c’est en fait le citoyen de la démocratie libérale, démocratie dans laquelle nous vivons depuis seulement deux siècles. Au sein de celle-ci, le citoyen récompense ou sanctionne par le vote ses représentants, qui accomplissent au mieux la tâche politique perçue comme une fonction professionnelle. Les citoyens de la démocratie libérale sont en fait les clients de la boutique État, gérée par des politiciens : en échange du meilleur service rendu, le citoyen donne ou non sa voix à l’homme politique. Face à cette démocratie libérale, deux autres modèles existent.

Tout d’abord, il y a la démocratie républicaine, modèle historique qui caractérisait la démocratie originelle athénienne durant l’Antiquité. Contrairement au modèle libéral, l’État est ici maximal et promeut une conception du Bien. Par exemple, si un système d’assurance maladie obligatoire est impensable dans une démocratie libérale, il l’est tout à fait dans ce cas-ci, si les citoyens estiment que ce mécanisme se met en place pour l’intérêt général. La citoyenneté du modèle républicain est donc totale (car on agit toujours en fonction de l’intérêt général) et la démocratie doit permettre de construire une conception collective du Bien.

Ensuite, il y a le modèle de la démocratie délibérative. Historiquement, celui-ci est beaucoup plus récent et date de la fi n du 20e siècle. Plus complexe, il propose une sorte de mixte des deux modèles précédents. Il insiste lourdement sur la qualité du processus démocratique, notamment son aspect délibératif (qui est une condition d’un débat juste et équitable).

Une fois ces bases théoriques de philosophie politique posées, il est plus aisé de comprendre les différentes conceptions de la citoyenneté aujourd’hui.

Démocratie ou aristocratie ?

Si voter est l’acte citoyen par excellence, c’est parce que nous vivons dans des démocraties libérales où le système politique privilégié est la représentation par l’élection. Comme le démontre Bernard Manin, nos démocraties libérales ne sont que des démocraties partielles, impliquant une citoyenneté elle-même partielle. Le principal argument de Manin étant que l’égalité politique, qui était le cœur de la démocratie athénienne (et du modèle républicain), est loin d’être complètement réalisée. Aujourd’hui, un des principaux obstacles à l’implication d’un maximum d’individus dans le processus décisionnel… ce sont les élections elles-mêmes.

Saviez-vous que si les révolutionnaires français ou américains du 18e siècle ont choisi le processus électif pour fonder nos démocraties, c’est justement parce qu’ils se méfiaient du peuple ? Au pouvoir politique qui se transmettait par le sang, les révolutionnaires ont substitué le pouvoir transmis par le mérite : on élirait ceux qui le méritent, les meilleurs. Ainsi, si le vote d’une grande partie de la population avait un parfum de démocratie, c’est bien les meilleurs qui allaient exercer le pouvoir, et pas le peuple. Les meilleurs, « aristos » en grec, fondaient ainsi une aristocratie.

Depuis, beaucoup de choses ont changé et nous laissent penser que les raisons de leur méfiance n’auraient plus de raisons d’être: le niveau d’instruction a augmenté, les nouvelles technologies permettent un accès croissant à l’information et au débat public. Il n’est pas étonnant que 200 ans plus tard, notre démocratie nous semble bien moyenâgeuse ! Face à cela, les résistances croissent chaque jour : Indignés, mouvement des 99 % aux États-Unis et des 5 étoiles en Italie, G1000, démocratie « liquide » du parti Pirate, mouvement abstentionniste… Le point commun de ces mouvements, c’est leur volonté d’approfondir ou de refonder nos démocraties et la citoyenneté! Le coup fatal porté au système électoral est certainement la hausse continue et dans des proportions inédites de l’abstentionnisme.

Réintégrer l’égalité et la délibération pour refonder la citoyenneté

Bien que l’universalisation du droit de vote soit apparue comme l’ultime étape de la construction de nos démocraties, nous avons vu que nous pouvons aller plus loin, en réintégrant la dimension nucléaire de la démocratie : l’égalité et la délibération. Pour cela, de nombreux mécanismes et nouvelles procédures existent… À nous de nous les accaparer, en n’oubliant pas qu’à partir du moment où nous cessons de penser et d’imaginer nos démocraties, celles-ci commencent déjà à périr.

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Marc Magnery

Pour en savoir plus :
– MANIN B., Principes du gouvernement représentatif, Flammarion, 1996.
– SINTOMER Y., Petite histoire de l’expérimentation démocratique. Tirage au sort et politique d’Athènes à nos jours, La Découverte, 2011.
– VAN REYBROUCK D., Contre les élections, De Bezige Bij, 2013.