Philippe Lacroix est sorti de prison il y a 10 ans, après avoir purgé une peine de 14 ans pour des faits de grand banditisme.
En prison, Philippe a passé son jury central et a entamé des études de langues et littératures germaniques, qu’il a terminées à sa sortie de prison. Maintenant, il est professeur d’anglais et de néerlandais en école de promotion sociale et il est père de deux enfants, avec sa compagne.
Adrien Pham (AP) – J’ai pour la première fois entendu parler de Philippe lorsque le service d’aide sociale de l’UCL m’a contacté pour lui prêter des notes de cours. Ensuite, je l’ai rencontré en prison, ce qui marqua le début d’une longue amitié.
AP- Philippe, pourrais-tu nous expliquer les différentes étapes de ta réinsertion ?
Philippe Lacroix- La réinsertion consiste en un projet qui te permet de te réinsérer dans la société, et en particulier d’avoir la capacité d’y croire. J’ai été condamné à mort en 1994 lors d’un procès hyper médiatisé : difficile pour moi de sortir de ce contexte. La première étape fut donc de me forcer à croire qu’il y avait un possible. Le challenge fut ensuite de renforcer cette croyance avec des actes : j’ai à ce moment-là choisi le chemin des études (le jury central d’abord, des études universitaires ensuite). La prison est tellement écrasante que l’on peut très vite s’essouffler. Dans ces moments, il est nécessaire de rencontrer des personnes qui valorisent les détenus. Je n’y croyais pas mais je donnais tout ce que j’avais. Pour moi, c’est ça le secret dans la vie : quand tu t’engages dans quelque chose, il faut le faire du mieux que tu peux… L’image du sablier me parle beaucoup. Au début, tout le sable est d’un côté : le côté de la délinquance, du banditisme, des étiquettes. Des choses se mettent ensuite en place, le sable s’écoule petit à petit de l’autre côté, qui se renforce. Le passage entre les deux, c’est ce que tu mets en place pour atteindre des objectifs valorisants. Et l’équilibre se renverse.
AP- Pourrais-tu nous en dire plus sur ces personnes qui t’ont soutenu ?
PL- Tout d’abord, Philippe van Meerbeeck, un psychiatre qui a travaillé sur mon procès. Alors que tout le monde me stigmatisait, il m’a considéré d’égal à égal. Il m’a proposé un emploi à ma sortie de prison ; c’était tout à fait surréaliste ! Un professeur de math, ensuite, qui m’a dit, alors que je m’étais toujours considéré nul en la matière, que je lui avais rendu le meilleur examen de jury central qu’il ait jamais connu. Quelque chose s’est réparé en moi ce jour-là. Un professeur de français également, qui a lu avec moi un roman et une pièce de théâtre, et qui m’a aidé à progresser dans ma compréhension du monde. Ainsi que d’autres personnes qui m’ont aidé tout au long de ma détention. Ce qui est certain, c’est que ces mains tendues sont nécessaires.
AP- Est-il difficile de préparer sa réinsertion en prison ?
PL- C’est extrêmement difficile. On parle ici d’une situation où tu ne fais plus partie de la société, où tu es exclu. On te demande de préparer ta réinsertion dans une société où il y a beaucoup de chômage, de trouver un boulot (en précisant à l’employeur potentiel qu’on ne connaît pas sa propre date de sortie) pour lequel il faut énormément de compétences et où le détenu est perçu de manière négative.
AP- Qu’existe-t-il en prison pour favoriser la réinsertion des détenus ?
PL- Prenons le cas de la prison d’Andenne et de son service d’aide aux détenus : quand j’y étais, c’était deux temps pleins et demi (psychologues et assistants sociaux) qui étaient là pour soutenir 400 détenus. Peut-on vraiment espérer grand chose avec de tels moyens ? Tu peux faire des petits boulots pour la prison (nettoyage, cuisine,…) ou pour des entreprises (emballer du chocolat, construire des cadres,…). Cela ne participe pas à la réinsertion en tant que tel, mais ça a déjà le mérite de donner un rythme, de ne pas rester oisif, d’avoir un contact social et de faire quelque chose d’utile. Il existe aussi des formations de type cuisine, électricité ou maçonnerie. Mais pour qu’elles soient efficaces, ces formations devraient être accompagnées d’un outil de valorisation de la profession, du travail bien fait, du service rendu à autrui. Ce qui n’est pas le cas.
AP- Que faudrait-il faire pour promouvoir la réinsertion ?
PL- De la valorisation et de la sensibilisation à la citoyenneté. Le rôle du système carcéral est de dire qu’on est des ennemis car on a commis des faits qui nous ont mis en marge de la société, mais que c’est provisoire, qu’on fait partie d’une communauté d’hommes, et qu’il faut essayer de sortir de cette situation. C’est un travail très difficile. On est face à un système hyper rigide. Cela exige une réforme complète du système, et donc beaucoup de moyens. Hélas, la prison n’est pas porteuse politiquement. A tort à vrai dire, quand on connaît le prix que l’emprisonnement et la récidive coûtent à la société. Et si un détenu n’est pas accompagné dans sa réinsertion, il est fort probable qu’il commette de nouveaux dégâts.
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Adrien Pham