Maintenir l’élévation des températures à moins de 2°C par rapport au niveau préindustriel, voire si possible sous la barre des 1,5°C, va nécessiter des objectifs et des actions concrètes ambitieuses.
Et s’il est bien un secteur sur lequel il faut mettre la vitesse supérieure, c’est celui du transport. De fait les émissions liées au secteur des transports sont toujours supérieures au taux de 1990.
Cela n’a rien d’étonnant suite, d’une part, à la croissance démographique, d’autre part, à la mondialisation entrainant l’accroissement des échanges marchands et de la mobilité des personnes. Le bureau fédéral du Plan prévoit d’ici 2030, 200.000 ménages supplémentaires en Wallonie et à Bruxelles et une augmentation de 40 % du nombre de tonnes de marchandises et de 10% du nombre total des trajets des personnes. Selon leurs prévisions, le transport routier resterait majoritaire entrainant une augmentation de la congestion (+ 22% de véhicules/km). Comment dans ces conditions arriver à réduire le poids du transport dans les émissions de carbone ?
La technologie est souvent présentée comme salutaire. Les véhicules électriques par exemple permettraient de réduire les émissions de CO2 par rapport aux voitures thermiques. Mais d’une part cela pose la question de la source de l’électricité (nucléaire ou renouvelable ?) et d’autre part cela ne fait que déplacer le problème vers d’autres ressources non renouvelables telles que le lithium nécessaire aux batteries. Enfin, cette solution ne s’attaque pas aux autres embarras que provoque la voiture notamment l’encombrement des rues et des places publiques ou encore le manque de contact social. Enfermés dans ces solides carapaces protectrices comme les nomme le philosophe Michel Serres, notre perception du monde est bien pauvre et peut contribuer au repli sur soi et à l’indifférence écologique. A force, dès l’enfance, de passer son temps à l’intérieur de la voiture, on réduit les chances de rencontres et notre vision de l’extérieur est tout autre.
Ce n’est donc pas que pour lutter contre les changements climatiques qu’il est nécessaire de complétement revoir notre mobilité. Les transports en commun sont aussi l’occasion de rencontres. Encore faut-il qu’ils soient efficaces et agréables pour tous.
Chez nous, le choix a été fait en 2002 de réaliser le RER en passant de deux à quatre voies de rails. Près de quinze ans plus tard les nouvelles voies ne sont toujours pas posées en Wallonie tandis que des routes ont été élargies sous des ponts et des tunnels traversant les lignes du RER. Une mise à quatre voies qui a par ailleurs été presque abandonnée pendant quelques jours par l’ancienne ministre de la mobilité. On en serait revenu au temps des travaux inutiles !
Cette expérience nécessite néanmoins d’oser quelques réflexions. Est-ce qu’avoir axé toute la politique de transport en commun pour converger vers le RER afin de pouvoir rentrer plus facilement dans Bruxelles était réellement la meilleure des pistes ? Si l’attraction des navetteurs vers Bruxelles continue de se renforcer, le RER pourrait même ne rien changer aux problèmes de mobilité. Certes, le train est un mode de transport efficace et peu polluant. Il est à privilégier pour connecter nos villes entres elles et il est nécessaire d’investir dans ce mode de transport afin de bénéficier d’une offre de qualité pour les usagers et de convertir des automobilistes. Mais il ne faut néanmoins pas mettre tous les œufs dans le même panier. Il y a d’autres modes de transport à explorer parmi lesquels le bus et le vélo !
Comme ils utilisent le réseau routier, les bus ont l’avantage de pouvoir rapidement se densifier et améliorer leurs offres. Dans leur cas, les avancées technologiques sont pertinentes car elles peuvent être mieux rentabilisées. L’hybribus développé à Liège en est un bel exemple. Ce bus roule à l’électricité et au diesel. Il a été testé à Liège en 2012. Malheureusement, comme il reste plus cher que les bus actuels, son développement à plus grande échelle ne s’est pas encore concrétisé.
Enfin, le potentiel du vélo d’être un véritable moyen de transport au quotidien est encore beaucoup trop négligé. Dans une ville comme Copenhague, capitale du Danemark, la part des déplacements quotidiens à vélo est de 45%.
Là-bas, même les gouvernements conservateurs et libéraux votent en faveur des infrastructures pour cyclistes parce qu’ils savent que le retour sur investissements des aménagements cyclistes est bien plus élevé que pour ceux réalisés pour les automobilistes. Leurs nouvelles pistes cyclables font ainsi quatre mètres de large et permettent à deux cyclistes de dépasser un vélo cargo en tout sécurité. Dans ces vélos cargo, les enfants sont à l’avant d’où ils peuvent réellement observer et découvrir leur environnement.
Chez nous, seulement 2% des déplacements quotidiens sont effectués à vélo. Les choses ont timidement commencé à bouger avec le plan Wallonie cyclable en 2010 et dont la deuxième version vient de paraitre. Mais le plan privilégie les infrastructures légères et sécurisées comme les marquages au sol. Comme l’énonce le GRACQ (Groupe de Recherche et d’Action des Cyclistes Quotidiens), cette approche permet peut-être de répondre aux attentes des cyclistes actuels mais est complétement insuffisante pour permettre à de nouveaux usagers d’enfourcher leur vélo et de laisser la voiture dans les show rooms ! De fait, les études montrent que la sécurité et la continuité des aménagements sont des éléments indispensables pour augmenter le nombre de cyclistes. Les campagnes de promotion du vélo ne seront vraiment efficaces que quand les infrastructures seront présentes ! Par ailleurs, l’excuse du relief n’est d’une part pas applicable partout et d’autre part des solutions permettent de réduire son importance. Outre le vélo électrique, on peut par exemple adapter les bus et train pour qu’ils puissent embarquer plus facilement des vélos.
Enfin il reste deux actions complémentaires pour permettent le transfert vers d’autres modes de mobilité. Il s’agit de réduire les avantages liés à la voiture et de rapprocher les lieux d’habitations des lieux d’emploi, d’enseignement, commerces etc. Cela vaut également pour les activités productrices car le transport de marchandises est celui qui est actuellement le plus en augmentation.
Outre le nécessaire abandon des avantages liés à la voiture de société, il est nécessaire de réduire les places de parking dans les centres villes et les autoroutes urbaines qui permettent une haute vitesse de circulation en milieu urbain. Le nombre d’automobilistes diminuera lorsqu’ils se rendront compte qu’ils perdront vingt minutes à trouver une place de parking (qu’ils devront payer cher) et qu’ils verront des vélos les dépasser tandis qu’ils seront bloqués à des feux rouges.
Concernant les questions de livraison qui multiplient les camions sur nos routes et en ville, il est nécessaire de privilégier le rail et la voie d’eau pour les longs trajets et les centres de distribution en ville. Les livraisons s’effectueraient alors avec des vélos cargo ou véhicules électriques. Tout bénéfice pour l’ambiance sonore des villes et la santé des passants ! Depuis peu, un tel centre existe à Charleroi géré par l’entreprise Citydepot.
Actuellement, de nombreux déplacements réalisés en voiture font moins d’un kilomètre et pourraient déjà faire l’objet d’un transfert modal. Il est donc nécessaire de rapidement agir afin d’avoir les conditions pour réaliser ces courts trajets en transport en commun, en vélo, voire à pied tout en réduisant les trop nombreux avantages liés à la voiture. Mais pour cela il faut une volonté et un courage politique fort. Pas sûr que la deuxième version du plan cyclable qui arrive bien tard dans la législature et sans aucun budget associé soit un bon signal.
___
Joachim Romain