Si vous avez des enfants dans votre entourage, vous avez peut-être déjà passé du temps à regarder des dessins animés avec eux.
Si c’est le cas, vous avez certainement dû aussi voir quelques publicités – que dis-je quelques horreurs, produits de la société de consommation – destinées à ce jeune public. Entre celles pour les yaourts aux fruits sans fruits et celles pour les bonbons fourrés d’additifs alimentaires, celles pour les jouets ne vous ont alors sûrement pas échappées. Et ni vous, ni les enfants avec lesquels vous étiez n’ont eu besoin de faire un gros effort de concentration pour constater une nette séparation entre les séquences destinées aux petites filles et celles destinées aux petits garçons.
Aux premières sont destinées poupées, leurs vêtements et autres accessoires pour pouponner, aux seconds voitures, jeux de mécanique et revolvers. Plus encore, les publicités pour les premières sont marquées par du rose, et éventuellement d’autres couleurs pastel qui reflètent la douceur, l’amour et la tendresse, tout comme les lettres aux formes arrondies. Pour les seconds, outre le bleu, on prévoit des couleurs vives et un caractère typographique, le tout évoquant la force, la vitesse, le danger ou encore l’interdiction.
Dans beaucoup de publicités papier et sites internet de magasins de jouets, la situation est similaire. Souvent, le site ou le catalogue propose des catégories. Deux d’entre elles sont particulièrement bien fournies : l’une est intitulée « filles », l’autre « garçons ». Sur certaines pages, un petit commentaire est ajouté, comme par exemple « apprends à faire comme maman » pour les filles. Des photos de filles ou de garçons plus ou moins âgés s’ajoutent au langage écrit. De cette manière, les catalogues rappellent bien aux enfants quels sont les jeux auxquels ils sont censés jouer selon leur âge et leur sexe1.
Pour les jeux a priori mixtes, les marques, désireuses de faire un maximum de profits (je ne vous apprends rien !), ont créé des modèles non mixtes, en proposant une différenciation de couleurs. De cette façon, les parents qui ont acheté des jouets roses pour leur ainée se sentiront obligés de racheter la panoplie pour le cadet. Le tout fréquemment en plastique, produit dans des conditions déplorables, et parfois par d’autres enfants. Soit ! Les stéréotypes de genre alimentent donc le capitalisme, et ce dernier dessert généralement davantage les femmes (nous y reviendrons), même si durant l’enfance les normes de genre en matière de jouets sont plus ressenties par les garçons que par les filles2. Remarquons également que diviser pour mieux vendre ne contribue en rien à favoriser le « jouer-ensemble ».
Vous me direz que de toute façon les enfants veulent jouer aux mêmes jeux que leurs copains ou copines. Bien sûr mais si la publicité était neutre, peut-être que les jeux préférés de ces derniers et dernières ne seraient pas marqués de la même manière. Tout dépend également de l’intervention des parents dans le choix des jeux et de la répartition des tâches dans la famille. En effet, comme nous l’avons vu, les publicitaires ont bien compris que les enfants veulent imiter les comportements de leur entourage, et en particulier des personnes qu’ils identifient comme leurs semblables.
Le marketing genré ayant été critiqué par quelques clients, certains magasins ont fait évoluer leur communication. Ainsi, en France, la chaîne U produit depuis 2012 des catalogues où filles et garçons s’amusent avec tous types de jouets3. Notons même la présence de photos d’enfants blancs jouant avec une poupée noire. Malheureusement, l’impact de ces catalogues non sexistes reste faible. En effet, si l’action des magasins est limitée puisqu’eux-mêmes dépendent des marques, de leurs publicités et des photos sur les boîtes de jeux, les opposants à ces catalogues imprégnés de ce qu’ils appellent « la théorie du genre » accompagnés par quelques conservateurs d’extrême-droite se font quant à eux bien entendre dans l’espace public et médiatique4.
Les publicités destinées aux adultes sont elles aussi souvent empreintes de sexisme. Seulement nous y sommes tellement habitué-e-s qu’il nous échappe régulièrement. Essayons alors d’inverser les personnages féminins et masculins de photos et vidéos publicitaires5. Ah, tiens donc, tout d’un coup, il crève les yeux !
Mais quels effets peuvent donc avoir ces publicités sur les représentations de ces jeunes et moins jeunes consommateurs ?
Les annonces publicitaires participent à la formation des représentations sociales, qui sont des vecteurs d’inégalités. En ce qui concerne les enfants, d’après Chris Paulis, anthropologue à l’Université de Liège, les catalogues de jouets « [construisent] non pas des enfants mais des garçons et filles, non pas des adolescents mais des jeunes filles et des jeunes garçons qui donneront des adultes, femmes et hommes de demain »6. Mona Zegai, une sociologue doctorante en matière de jouets et de socialisation de genre, affirme quant à elle que le genre est un déterminisme social qui borne le champ des possibles, au même titre que la classe sociale7.
« Borner le champ des possibles », et pourquoi pas celui des rêves également ? Je pense à une publicité destinée à un public adulte. Il s’agit d’une affiche, conçue par le Forem, et qui a défrayé la chronique. Elle mettait en scène une petite fille au look vintage munie d’un gant et d’une serpillière, et présentait le texte « Osez réaliser vos rêves…Devenez auxiliaire de ménage ». Oui, une annonce sexiste a émané d’une institution publique…en 2017 ! Un sexisme exacerbé par le commentaire inapproprié pour de nombreuses personnes (femmes comme hommes) qui exercent cette fonction « faute de mieux ».
Le Forem s’est excusé. Ouf ! Bien que la marge de progression pour l’égalité soit encore grande, nous ne revenons pas cent ans en arrière ! Le service public wallon de l’emploi et de la formation avait certainement été influencé sans vraiment s’en rendre compte (espérons-le) par la ségrégation horizontale de genre qui règne encore sur le marché de travail. Celle-ci se définit par le cantonnement des femmes dans certains secteurs d’activités, dans des domaines particuliers ou dans des départements spécifiques au sein des entreprises. Il est vrai que d’après la Direction générale Statistiques, soit l’organisme chargé de produire des statistiques nationales en Belgique, 97% des aides de ménage à domicile de notre pays étaient des femmes en 20168. Au sein de leur propre foyer, les femmes consacrent en moyenne huit heures par semaine de plus que les hommes aux tâches ménagères et vouent une heure et demie de plus aux soins des enfants alors qu’elles ne dédient « que six heures de moins » au travail rémunéré9. Une différence salariale qu’on mesure encore mieux lorsqu’on sait qu’à travail égal, les femmes gagnent encore et toujours 9% de moins par heure que leurs collègues masculins10. Pour gagner davantage, il faut gravir les échelons mais là encore être une femme n’y aide guère car à côté de la ségrégation horizontale, on trouve la ségrégation verticale plus communément nommée « le plafond de verre »11.
Bref, au 21ème siècle, en occident, les inégalités persistent. Pour les diminuer voire les supprimer, des actions vis-à-vis de la socialisation de genre des garçons et des hommes comme celle des filles et des femmes constituerait un grand pas. Car si comme le disait Simone de Beauvoir, « on ne nait pas femme, on le devient », la phrase équivalente est vraie pour les hommes, et eux aussi peuvent souffrir des représentations de genre. « Ne pas être assez viril »…Voilà un sentiment qui touche pas mal d’entre eux, à tel point que certains éprouvent le besoin de faire un stage de masculinité, comme France 2 l’a récemment montré dans un reportage controversé12, qui interroge sur le rôle des médias au-delà de la publicité. Les représentations de certains téléspectateurs (enfants, adolescents et adultes) ont pu être modifiées ou renforcées par les discours tenus dans la séquence.
Bien que l’endoctrinement soit plus efficace chez les plus jeunes, le processus ne s’arrête pas avec l’enfance mais est bien continu. Nous intériorisons constamment des représentations sociales, et reproduisons ces stéréotypes appris sans nécessairement le vouloir. Au cours de ce conditionnement, il est plus que probable que la publicité occupe une place importante. Peut-être faudrait-il penser à légiférer sur les représentations de genre dans la publicité ou dans les médias en général, notamment dans ceux destinés aux plus jeunes, ou à prendre des mesures pour limiter la place de la publicité dans la société ?
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1 M. ZEGAI, « Trente ans de catalogues de jouets : Mouvances et permanences des catégories de genre », Paris, Actes du colloque international “ Enfances et culture : regards des sciences humaines et sociales ”, 2010
2I.D. CHERNEY, « Nouveaux jouets : ce que les enfants identifient comme jouets de garçons et jouets de filles », Presses universitaires de France, 2006/3, vol.58, p.268
3C. WOITIER, Des catalogues de jouets révolutionnent les genres, dernière mise à jour le 06/11/12
4 L. Auvitu, Catalogue de Noël : bravo Super U d’horripiler le Printemps Français et les autres réacs, mis en ligne le 01/11/13
5 Plus d’exemples, voir :
– Et si on inversait le rôle des femmes et des hommes dans la publicité ?, mis en ligne le 18/03/14
– S. Zelinski, Representations of Gender in Advertising, mis en ligne 03/03/13
6 Enseignons.be, Attention aux jouets sexistes à Noel, mis en ligne le 10/12/10
7 L. DYLAN, Genre et jouets : l’avis d’une sociologue, mis en ligne le 19/09/13
9 L’emploi du temps des Belges. Résultats de l’enquête belge sur l’emploi du temps de 2013
10 Pour plus de détails : Institut pour l’égalité des femmes et des hommes et Dietert De Vos (SPF Emploi), L’écart salarial entre les femmes et les hommes en Belgique, page 6.
11 Pour plus de détails, voir Institut pour l’égalité des femmes et des hommes et Dietert De Vos (SPF Emploi), L’écart salarial entre les femmes et les hommes en Belgique, page 75.
12 A. Lorriaux, L’insupportable message sexiste diffusé par France 2. Quand la chaîne du service public donne carte blanche aux masculinistes et aux propos sexistes, dernière mise à jour le 31/03/17
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Jéromine Gehrenbeck