Parfois, il suffit d’un regard, d’un sourire ou d’une simple phrase pour qu’une amitié naisse. C’est ce qui m’est arrivé en septembre 2024 quand j’ai rencontré Shadan qui est devenue en quelques instants une amie très chère à mes yeux. Née en Iran, elle a aujourd’hui décidé de m’expliquer son parcours migratoire pour le partager et, peut-être un jour, changer les choses dans son pays d’origine.
Dès sa plus tendre enfance, Shadan est touchée par les différences sociétales qu’il y a entre les filles et les garçons. Elle me décrit un pays où les femmes sont réduites au silence et où chaque lueur de changement est réduite en cendres. Durant son enfance, elle voit son père frapper sa mère. Par la suite, ce sera elle qui sera victime de violence domestique par son ancien compagnon. Elle essaiera plusieurs fois de porter plainte mais les policier·ères lui rieront au nez. Shadan a également été 8 fois arrêtée par la police iranienne et a vécu des violences policières car elle ne portait pas son voile “correctement” selon les autorités. Son frère est aussi touché par la violence de la police. Faisant partie de la communauté lgbtqia+, il sera victime de violences physiques et psychologiques. Cette violence touche aussi le travail car même si elle aime son boulot et à un poste haut placé, comme beaucoup de femmes, elle subit des violences sexuelles de la part de son patron, qui n’hésite pas à lui retirer son salaire si elle refuse ses avances.
[…] un pays où les femmes sont réduites au silence et où chaque lueur de changement est réduite en cendres.
Malgré cela, Shadan aime son pays mais le jour où son ex-compagnon arrive fou de rage chez elle, frappe sa mère et la menace, elle décide de partir. Elle sent que si elle reste, il va la tuer. Face à cette violence omniprésente, Shadan ne va pas seulement fuir son ex-compagnon, elle fuit aussi un système qui l’étouffait depuis toujours.
Je lui demande alors pourquoi avoir choisi la Belgique et comment elle est arrivée ici. Shadan m’explique qu’elle a choisi la Belgique parce que des membres de sa famille y vivent et car elle y voit davantage de liberté pour les femmes. Grâce à son travail, elle obtient facilement un visa touristique. Elle prend l’avion et se dit qu’elle reviendra dans quelques mois quand la situation avec son ex-compagnon sera calmée. Mais sa famille en Iran lui demande rapidement de rester en Belgique, par peur que si elle rentre, il lui arrive quelque chose de grave. Elle tombe alors dans une profonde dépression car elle se rend compte qu’elle vient de tout perdre : études, travail, famille. C’est malheureusement le prix de la liberté.
Ce qui va l’aider à tenir le coup c’est le suivi psychologique qu’elle obtient après avoir commencé sa procédure de demande d’asile. Pourtant ces suivis psychologiques font souvent l’objet de critiques pour plusieurs raisons, liées à des problématiques structurelles, adminitratives et culturelles. Cependant elle s’est sentie écoutée et soutenue. De plus, vivant dans un centre d’accueil, beaucoup d’activités sont proposées, ce qui lui a permis de se changer les idées.
Shadan m’explique que malgré le fait qu’elle est en train de tout reconstruire, elle tient bon, pour sa famille mais aussi car elle ne se sent plus être une esclave, mais enfin un humain. Cependant les marques restent. Alors qu’il est difficile de se faire des ami·es car elle ne parle ni français, ni néerlandais, elle a peur de se lier d’amitié avec des Iranien·nes vivant en Belgique. Elle se dit qu’iels pourraient être proches du gouvernement ou connaître son ex-compagnon. De plus, malgré le soutien psychologique, elle se sent otage de ses traumatismes, qui la suivent, qui lui font penser qu’elle n’a aucun droit, juste parce qu’elle est une femme.
Elle a quitté son pays et ses proches pour rester en vie mais maintenant elle se demande si ça en vaut la peine, si mourir n’aurait pas été plus facile. Cependant, elle me dit avoir réalisé la chance qu’elle a, qu’elle commence à se faire sa place dans la société belge, qu’elle apprend le français et cherche un travail. Mais elle a toujours peur pour sa famille, sa mère, son frère. Ainsi, si aujourd’hui Shadan se bat pour reconstruire sa vie en Belgique, son cœur reste attaché à l’Iran, dans l’espoir qu’un jour, son pays pourra offrir à toutes ses filles ce qu’elle a dû quitter pour trouver : la liberté.
– Lucie Hermans